La Bellière.

La Bellière regardée sur sa façade arrière.
Photo prise par Mlle Mayaamon

Voici le très vieux et fier château de la Bellière assis aujourd’hui en la commune de la Vicomté sur Rance et positionné au dessus de son très séculaire moulin à marée du Prat.
Les terres de la Bellière emplissent elles aussi une grande page de l’Histoire de notre belle région laquelle page, très intiment, relie également certaines heures passées à la Bellière à celles de notre propre ancienne paroisse, à savoir Lanvallay.

Qui se promenant sur les chemins du moulin du Prat n’a jamais aperçu, élancées vers les hauts bleus lointains, les fines cheminées de ce château si discret et ancien !
Les plus anciennes ombres de ce château doivent encore se souvenir de la présence, longeant ces vieux murs séculaires, de l’existence de la très tendre Tiphaine Raguenel ; cette gente et noble Dame vint plusieurs fois ici même il est vrai.
L’écho de ses pas résonnent encore quelques fois dans le bruissement des feuilles d’automne lorsque à sa porte même nous errons empli de couleurs et rêveries jaunissantes.
Ah états d’âme !
Sa page d’amour avec Bertrand Duguesclin
(1) est l’une des plus courtes mais aussi l’une des plus belles histoires appartenant à notre si beau pays qu’est Dinan.
Qui ne connaît pas ces heures musicales et si douces ?  
A l’inverse de cette si belle histoire soyons sur que très peu de personnes savent le fait que ce château relie les premiers seigneurs de Lanvallay-Tressaint à la noble famille seigneuriale de Dinan ; cela se passera au XIV siècle quant Raoul de Lanvallay, seigneur de Lanvallay/Tressaint et de Clerre-Fontaine aussi, devint le propre beau-frère de cette si douce Damoiselle. En effet Raoul 1er de Dinan, vicomte de Dinan et de Montafilant en 1276, dit aussi Vicomte du Poudouvre, est le 1er sire de la Bellière cité après son union contractée avec Felippe Dame de la Bellière.
Leur petit-fils Guillaume de Dinan, celui-ci voyant sa toute première heure vers 1280, décèdera « Vicomte de Dinan » au château de Lanvallay ; sa dernière heure s’éteindra telle une bougie en 1337.
Jeanne de Dinan son enfant, née vers 1300, devenue vicomtesse de la Bellière prendra pour époux Robin de Raguenel 3ème du nom, seigneur de Châtel-Oger, de Saint-Herblon près de Rennes ; celui-ci du fait de son mariage va devenir le nouveau vicomte de la Bellière et le nouveau possesseur de ce château 
(2).
De ce mariage va bientôt naitre Tiphaine Raguenel, la future compagne du célèbre Bertrand Duguesclin ; ce grand soldat Breton après avoir pris le parti du roi de France Charles V, en 1365, sera fait en 1370 Connétable de France par ce même monarque.
Dans la continuité de ses combats livrés Bertrand sera aussi nommé roi de Grenade par le roi de Castille lui-même ; il meurt en l’an 1380.
Tiphaine a alors une nièce prénommée également Tiphaine ; cette dernière était la fille de Guillaume Raguenel mari de Jeanne de Montfort le propre frère de Tiphaine
(3).
Tiphaine Raguenel, nièce de Tiphaine, prendra pour époux Raoul de Lanvallay 2ème du nom, seigneur de Tressaint et de Clerre-Fontaine en Tréfumel, unissant ainsi par son propre mariage la famille seigneuriale des Raguenels de la Bellière à celle des seigneurs de Lanvallay-Tressaint.
On parlait alors déjà de la Vicomté sur Rance.

Le chasteau de la Bellière

Au regard de l’architecture du château, telle ses cheminées ouvragées, le château de la Bellière « actuel » semble devoir remonter au plus tôt au XIV siècle tel que le pense notamment aussi les Monuments historiques.
Hors Raoul de Dinan lui naît vers 1220 et son fils, prénommé lui aussi Raoul, vers 1250 ; en toute logique la construction du dit château actuel, réalisé au dit XIV siècle, ne peut donc avoir été réalisé  que par Guillaume fils de Raoul II lequel lui naît probablement vers 1280.
Il est vrai qu’il soit possible que Raoul II ait commencé de son vivant la dite construction…
Toujours est-il que le plus gros du chantier fut lui très probablement réalisé par le dit Guillaume lui même..

Délimité par l’ancienne terre noble de Quencombre la terre seigneuriale de la Bellière est citée dès l’année 1206 au travers de Hamon de la Bellière, frère supposé de Matheum fils d’Alain le roux ; Alain père de Matheum sera le possesseur/donateur de la terre de Quencombre, terres et toutes dépendances comprises qu’il offrira au prieur du prieuré du pont à Dinan en la première moitié du XII siècle.
L
a terre seigneuriale de la Bellière semble devoir « entrer » dans la maison seigneuriale de Dinan qu’à la fin du XIII siècle puisque Raoul 1er de Dinan, arrière-petit-fils de Geoffroy II de Dinan et de Muliel de Poudouvre, tous deux nés vers 1120-1130,  prendra pour épouse avant de décéder en l’année 1295 Felipe de la Bellière « héritière » de cette terre.
Avec cette union en effet la dite seigneurie de la Bellière deviendra le bien propre des seigneurs de Dinan aussi dits « Vicomtes du Poudouvre »  depuis l’union contractée hier entres les dits Geoffroy II de Dinan et Muliel du Poudouvre (4).

La seigneurie de la Bellière, cette très belle et ancienne seigneurie, assise en la paroisse de Pleudihen sera, entre 1674 et 1682, le bien seigneurial de Messire Pierre Girault sieur de Charmois ; transmise de façon aussi agnostique la Bellière restera au sein de ses descendants jusqu’au début du XX siècle.
En effet en l’année 1676 sera établi un « contrat d’aliénation » partiel, contrat consenti par le dit Ecuyer Pierre Girauld, à Messire Jean Ladvocat seigneur et chevalier de la Crochais.
Dans ce contrat d’aliénation partielle il sera mentionné que le dit Pierre Girault s’était porté acquéreur des terres et seigneuries et de Dinan et de la Bellière, ensemble par lui acquis de messire Hercule François comte de Boiséon; cette même acquisition, faite le 15/09/1674, se fera elle pour la somme de 96.000,00 livres.
Décédé en février 1692,Gouverneur de Morlaix, Capitaine de l’arrière-ban du Léon, Surintendant des poudres et salpêtres de France, Hercule François Comte de Boiséon prendra pour épouse Françoise de Coëtquen la propre fille du seigneur Malo de Coëtquen ; celle-ci était t’elle héritière de la Bellière par son père ?
Pierre de Boiséon, aïeul du susdit Hercule-François, prendra pour épouse Janne de Rieux vicomtesse de Dinan.

Pierre Girault, conseiller et secrétaire du roi, né à Orléans en 1628, sera uni par mariage à Anne Michaud. Julien-Ferdinand Girault, leur petit-fils, trouvera le décès à la Bellière en l’année 1756; Hélène sa fille prendra elle pour époux, cela en 1760 à Saint-Malo, Alain Thomas Colin cette même famille étant en les premières heures du XX siècle toujours maitresse de ces lieux …1676-1682. Parroisse de Plaidihen. Escuyer  Pierre Girault sieur de Charmois tient de la dite seigneurie a devoir de foy hommage et chamblenage, la maison et manoir noble de la Belliere, consistant en maisons, cours, jardins, fruitiers, coulombiers, chapelle, terres arrables, pré, prairies, moulins, bois et hautes fustais, fiefs, baillages, juridiction en seigneurie ayant cours et séxtendant aux parroisses de Pleudihen, Miniac, Saint-Sulliac, Saint Perre, Saint-Jouan, Saint-Meloir, Saint-Coulomb, Saint-Ideuc, Paramé et Trébédan et outre doit de rente appellé Métailles par deniers aus terme de Saint-Gilles les baillages ayant cours en la paroisse de Saint-Jouan soixante six sols huit deniers monnois

Au lendemain de Raoul de Dinan, celui-ci compris, les possesseurs de la Bellière seront dit « Vicomte de Dinan » simple titre honorifique offert à des cadets.
A la lecture de cette acquisition faite par Pierre Girault, celui-ci acquérant en effet et la seigneurie de Dinan et la seigneurie de la Bellière, nous nous apercevons que la dite vicomté de Dinan s’étirait de Dinan à la mer et que cette même vicomté comprenait de fait des biens seigneuriaux assis en Saint-Sulliac, à Saint Père Marc en Poulet, à Saint-Jouan, à Saint-Meloir des Ondes, à Saint-Coulomb et à Paramé toutes paroisses proches de la mer.
Guillaume de Dinan, seigneur de la Bellière et du Poudouvre, vicomte de Dinan, le propre petit-fils des susdits Raoul et de Phelippa, semble devoir déplacer le siege de la seigneurie du Poudouvre de la paroisse de Pleudihen à celle de Saint-Enégoat ; apparait alors en ce nouveau « siège » un château lequel lui aussi nommé « la Bellière ».
Guillaume en effet décédera en l’année 1337 en Lanvallay ; éclairé par une dernière bougie Guillaume trouva t’il son heure ultime en le manoir des seigneurs de Lanvallay/Tressaint ?
L’Histoire ne le dit pas.

Tiphaine, Bertrand et le combat clos à Dinan

 L’Histoire véritable de Bertrand Duguesclin au champ clos, histoire écrite en prose en l’an M.CCC.LXXXVII. Elle sera éditée à Paris en 1618 chez Sébastien Cramoisy, sis rue St-Laques, aux Cicognes. 
Texte ici tiré de l’ouvrage de Luigi Odorici: Recherche sur Dinan et ses Environs

  Qvant ceulx de Dinant se virent asseigiez des Engloiz, lesquelz gardoient le pas à Brest, et à Bahon: et quant les gens de Monsieur Charles de Blois, qui dedens Dinant estoient, apparceurent ce, ilz enuoyerent deuers le Duc de Lencastre, à ce qu’il leur voulzist donner terme de cy à quinze iours. Lequel temps durant ilz enuoyerent deuers Monsieur Charles de Blois pour auoir secours. Et se dedens ils ne l’auoient, ils se rendroient au Duc de Lencastre, et au Conte de Montfort: lesquelz s’y accorderent. Et fist-on crier les treues d’vne part et d’autre. Et auint à vn certain iour, tandiz comme ces treues duroient, que Oliuier du Guesclin frere Bertran yssy hors de Dinant tout seul, à cheual, moult richement monté, ainsi comme vn ieune homme feroit, et comme celui qui cuidoit bien estre asseuré. Mais ledit Oliuier fu rencontré sur les champs d’vn Cheualier Engloiz, que on appelloit Thomas de Cantorbie, ,lequel estoit frere de l’Aecheuesque. Lequel Cheualier estoit moult orgueilleux, et moult desmesuré. Et s’en vint à Oliuier moult fierement, et le prist par le giron; et puis lui demanda moult orgueilleusement, qui il estoit, qui ainssi aloit. Et Oliuier lui dist, que on l’apelloit Oliuier du Guesclin, quant sauvoir le vouloit, et frere de Bertran: mais il estoit le mainsné. Lors dist le faulx Engloiz: « Par Saint Thomas vous ne m’eschapperez, vous estes mon prisonnier, vous en vendrez auecques moy. Et se vous ne vous rendez, tantost ie vous tondray la teste, et morrez tout maintenant en despit de Bertran. Ne ia pour son nom n’en serez deportez, pour tant qu’il a tousiours greuez nos bons amis. Le deable out tant fait, qu’il est monté si haut. On parle plus de lui et de ses faiz, que on ne fait de tous ceulx de ce païs. Sire, dist Oliuier, vous auez grant tort. C’est vn poure Cheualier, rt pourement herité. Et se il s’est auancié pour avoir richesse, et estre honnourez, vous ne l’en deuez blasmer ». Dont dist l’Engloiz, que ia respit n’y auroit. Et vint à l’espée traite. Et quant Oliuier le vit, si li mua le sanc. Et ne fu pas de merueille. Car il estoit desarmé, et tout seul. Et l’autre si estoit bien armé, et si auoit quatre Escuyers auecques lui. Lors dist : « Ie me rens, puis que vous le voulez. Mais croy que vous me rendrez, et si n’aurez du mien qui vaille deux. Certes, dist l’Engloiz, ainçois me rendrez mil flourins, ou vous ne partirez iamais. Ce n’est pas grant finance. Car Bertran en a assez » Ainsi le Cheualier Engloiz emmena Oliuier prisonnier en sa tente, où ses compaignons estoient. Et là fu apperceu d’vn Escuyer Breton, qui bien le recognut, lequel s’en ala tantost à Dinant deuers Bertran, qu’il trouva ou marchié, où il regardoit le ieu de la paulme. Lors lui dist en bas tout coyement, qu’il venoit tout droit de l’ost, où il auoit veu Oliuier son frere, que vn Cheualier engloiz menoit en sa prison. Et quant Bertran l’oy, il teint comme vn charbon, et deuent bien esbahy. Puis demanda à l’Escuier, se il bien l’auoit auisé. Et il dist, que oyl bien par Dieu, et que de pieça le cognoissoit. Car il auoit seruy leur pere et seruoit, quant il lui donna armes, pour aler deuers Bertran. Et lors lui demanda, se il sauoit point le nom du Cheualier, qui son frere tenoit en prison. Et il dist, que il l’auoit oy nommer Thomas de cantorbie, et frere estoit de l’Archeuesque. Dont dist Bertran, que par Saint-Yues il lui rendroit, ne oncques si mauuais prisonnier n’auoit pris. Adonc monta sur son cheual, passa la porte, et s’en vint à force d’esperon iusques aux tantes. Il est entré en l’ost, et chacun, qui le cognut, le festoya moult. Et demanda la tante au Duc, et on lui enseigna. Adonc est venu deuant le Duc, qui iouoit aux eschez à Iehan de Chandoz. Si y fu le Conte de Montfort, Robert Canole, le Conte de Pennebroc, et plusieurs autres Cheualiers et Seigneurs, lesquelz Bertran salua moult honnourablement. Et s’agenoilla deuant le Duc. Et le Duc lui dist, que bien fust-il venu. Et tantost laissa le ieu, et le prist par la main, et le releua. Et Iehan de Chandoz lui dist doubcement : « Bertran, bien soyez venu, vous buuerez de mon vin, aincois que vous retournez ». Et Bretran lui respondi, que ia n’en buuroit iusques à tant que on lui eust fait droit. Et Chandoz lui dist, que s’il y auoit Cheualier en l’ost, qui tort leur eust fait, qu’il leur fist apparoir, et tantost lui feroit amender. Et Bertran respondi…… »Oyl , vous auez un cheualier que ie n’aime point, que l’en appelle Thomas de Cantorbie. Car sans raison il m’a courroucié. Vous sauez, que de vostre acort, et du nostre, nous auons treues iusques à certain iour. C’est voir, dist Cheualier. Aussi les tendrons nous, ne vous en doubtez pas. Seigneurs, ce dy Bertran, vous dites moult bien. Mais le Cheualier, dont i’ay parlé deuant, a trouué un mien frere, qui n’est encore que enfant, lequel estoit yssus de Dinant aux champs pour soy aller esbatre. Si l’a pris, et mis en prison, ai,si comme vu meschant. Si vous requier, Messieurs, pour loyauté, que vous me fassiez deliurer mon frere Oliuier. Car, beaus seigneurs, ie feroye pour vous plus que tant. Dont luis dist Iehan de Chandoz, que plus n’en parlast, et incontinent mui seroit deliuré, amendé à sa voulenté. Et Bertran leur dist, que grans merciz. Dont firent apporter le vin, et burent. Et à Bertran firent donner à boire. Puis menderent le Cheualier, qui Oliuiertenoit : lequel y vint, et ne l’osa refuser. Et le Duc lui dist : « Vecy Bertran, que vous vueil accuser, que vous auez emprisonné son frere germain auiourd’huy, et comme vostre prisonnier le voulez raençonner. Ce n’est mie bien fait. Car s’il le puet prouuer, vous le deliurerez, et si l’amenderez. Et le Cheualier qui fu fel et orgueilleux, dist au noble Duc, quant il oy ainsy parler :’Sire, vecy Bertran. Mais s’il vueil sur moy adeuiner, et que i’aye fait chose qui a blasmer fasse, et que bon Cheualier ne puisse faire de droit, vecy mon gage prés de le combatre ou champ de bataille, corps à corps, per à per ». Et quant Bertran oy ce dire, sans vn seul mot sonner, il ala happer le gaige, et puis le prist par la main, en disant : « Faux Cheualier, traictre, et tel vous prouueraz-ie, deuant tous les Seigneurs, ou ie mourray à honte. Et dist le Cheualier; ie ne vous en fauldray ia, ne iamaiz ne dormiray en lt, iucques à tant que combatu vous aye ». Et Bertran respondy, que iamais ne mengeroit que trois soppes en vin ou nom de la Trinité, iucques à tant que le gaige fust fait. Et lors Iehan de Chandoz lui dist, que voulentiers le feroit armer, et lui presteroit le meilleur cheual qu’il eust. Car voulentiers veist le champ d’eulx deux. Ceste nouuelle fu en cité sceuë. Et quant le Capitaine, cheualiers, et autres gens d’armes le sceurent, les bourgeois aussi moult en furent troublez et courrouciez. Là auoit vne Dame nommée Tiphaine, extraicte de noble lignée, laquelle auoit enuiron vongt quatre ans, ne oncques n’auoit esté mariée, et estoit bonne, sage, et bien doctrinée, et moult expert és ars d’Astronomie. Aucuns disoient, que elle estoit faée. Mais non estoit. ains estoit ainsi inspirée de la grace de Dieu. « Ceste Dame, qui née estoit de Dinant, et qui aussi y demouroit, quant elle oy, que tant le peuple auoit doubté du champ, que Bertran deuoit faire : elle leur dist en hault, que nulz ne s’esmayast, et qu’ilz le reccuroient sain et sauf dedens Soleil couchant, et si desconfiroit ou champ son ennemy. Et s’en ne le veoit ainsi auenir, elle vouloit perdre quanque elle auoit vaillant. Adonc la nouuelle ala en la ville, dont les…orent moult grant ioye. Lors un Escuyer Breton monta un cheual, et s’en ala brochant de l’esperon, tant comme il pot, à Bertran, qui estoit en l’ost des Engloiz, comme dit est. Et quant il vint à lui, il l’enclina, et lui dist qu’il vouloit parler à lui. Et Bertran lui demanda, qu’il vouloit, et que tantost deist sans decryer. Et lors l’Escuier, qui preux et hardiz estoit, dist que vue Dame à moult hault pris, laquelle estoit nommée Tiphaine, auoit dit à Dinant à tous, que pour certain il vainqueroit son ennemy. Et pour ce, se combatist hardiement. « Dont respondi Bertran; Vaa, fol est, et bien chetif, qui se fie en femme; il n’est pas moult soubtil. Car il n’a en lui de sens neant plus que en une berbiz. Et ne s’en fist que riser ». Atant vint à lui vn message de par le Tort boiteux, et de par les bourgoiz de Dinant. Et dist en hault à Bertran: « Sire, le Capitaine, et les autres bourgoiz de la cité m’enuoyent deuvers vous, et vostre ante aussi, lesquelz vous prient, et conseillent , que ou marchié dedens la cité de Dinant vous venez vostre bataille faire contre vostre aduersaire, se le Duc de Lenclastre le veult. Regardez, il y pourra bien venir, et auecques lui vingt ou trente des siens, et on lui donra hostages souffisans, sans aucun mal penser, et retourner par deça. Mais à ceulx de Dinant desplaist, que tant vous voulez fier aux Engloiz, comme de vous auenturer tellement entre eux. Par ma foy, dist Bertran, ie ne me doy pas doubter. Car le Duc de Lanclastre et tant gentil, qu’il ne daigneroit penser traison. Maiz non pour quant ie yray ceste chose recorder. Adonc s’en vint au Duc, et lui dist : « Sire, vous auey oy compter à cest Escuyer-cy que ceulx de Dinant me mandent, lesquelz ie ne vueil pas courroucier ne troubler. Car mes amis y sont. Et non pour quant i’ay grant desir de faire le champ. Si  regardez comme vous en voulez ouurer et ordonner ». « Adonc dist le Duc, que par Dieu il seroit fait ou marchié de Dinant. Car se aucuns  de ses hommes vonloient greuer Bertran, aucuns pourroient dire pour lui deshonnorer, qu’il en seroit consentant, pour braser trayson. Et c’est vne renommee, que tout preudomme doit doubter. De ce furent d’acord touz les Barons Engloiz, et manderent à ceulx de Dinant, que ostages souffesans leur enuoyassent, et ils entreroient dedens Dinant pourveoir le champ acheuer. Lesquelz leur enuoierent bons ostages. Et adonc le Duc de Lenclastre entra en ladite cité, auec lui vingtiesme, sans plus. Mais que il mena auecques lui Bertran, et le Cheualier Engloiz. Lequel Duc et les dessusdiz furent bien festoiez et moult honnourablement receuz. Et s’arresterent ou marchié de Dinant. Et adonc les Engloiz se rengierent moult gentement. Lors y ont vn parlement pour faire la paix, et le cham delaissier. Mais Bertran eu iura Dieu, que iamaiz en son viuant n’en feroit paix, si seroit li vus d’eulx recreant. Adonc dist le Duc de Lenclastre, que plus on n’en parlast, mais tous priassent pour le droit. Dont se fist Bertran armer moult noblement de bonnes plates et greues, et ot l’espée et le coustel et lance pour iouster, et riche bacinet et gans à broiches de fer, qui bien faisoient à doubter. Puis lui fist-on son cheual amener en la place , sur lequelil monta et s’afficha aux estriefs. Puis prist le glaue en sa main, et moult se fist regarder. Car il estoit moult bien appareillié pour acheuer son champ. Pour lequel veoir , tous les Barons d’vn costé et d’autre se mistrent lors en ordonnance. Et le Tors boiteux fist moult bien garder ledit champ, et crier que aucun ne se melast de l’vn ne de l’autre aidier, ne greuer; ne qui à l’Engloiz meffist pour son pris aualer, en poyne de perdre la teste. Dont n’y ot si hardi, qui s’en osast mesler. Mais le Cheualier Engloiz alors se doubta moult, et espouenta en son cuer. Car au besoing cuidoit trouuer de ses amis. Et bien se voulzist acorder à Bertran, et lui rendre son frere Oliuier. Lors lui en fist parler, sans ce que l’en monstrast, que ilz venissent en son nom, par Robert Canole et Thomas de Grançon, lesquelz s’en vindrent à Bertran, et lui dist ledit Robert moult doubcement : »Sire Bertran, les gens de nostre costé, tant Cheualiers, comme Barons, ont regardé au fait. Si ne voudrions pas, que mal vous venist de par nous en aucune manière. Et combien que vous soiez en vostre possession, et entre vos amis. Ou se vous estiez vaincu de nostre champion, ou pourroit dire en tous païs estranges, que le champ ne seroit pas fait par iuste partie. Car vous estes trop ieune pour championner, et mieulx vauldroit bonne paix, que mauuaise tençon. Et se vous nous voulez croysre, nous apaiserons cestes discension, et feront quitter la rençon de vostre frere. Comment ce dist Bertran, il ne doit riens. Et il m’est auis que c’est conscience, et bien raison, que se vuns est à tort en prison mis, qu’il endoibt estre purement deliuré. Et d’autre part, vecy le noble Duc de Lenclastre, et Iehan de Chandoz, où tant a honnour, Conte de pennebroc, et les autres Barons, tant de vostre costé comme du nostre, qui ne lairront auoir  à mon aduersaire ne à moy nulle villenie. Mais qui nois lairra faire le champ, que mepris auons, ie iure à Dieu tout puissant, que le faux Cheualier, qui m’a fait villenie, n’eschappera iamais iucques à tant que son tort lui aye montré. Ou ie le destruyeray, au ie rendray la vie, ce voyant la Baronnie, s’il ne me rent s’espée tenant la pointe en sa main, en disant, qu’il se rent à mon commandement ». Lors dist Robert Canole, que ce ne seroit-il pas. Dont dist Bertran, qu’il feroit grant folie. Car on doibt plus doubter la mort, que villenie. Quant les Engloiz oirent sa responce, moult en furent courrouciez. Et bien disoient li un à l’autre, que c’estoit un droit Rolant. Dont s’en alerent à l’autre Cheualier champion ne scay quans Cheualiers Engloiz, qui lui dirent, qu’il pensast de sauuer sa vie : et que en Bertran ne pourroient trouuer acort, respit, ne plaisant parole, mais conuient que l e champ soit parfait. Lors dist le Cheualier : Or m’en vueille Dieu aidier. Ie ne vy oncques mais homme si grant de faire bataille. Mais se ie puis, il s’en repentira. Maiz toutefoiz ie vous prie, que se vous veez, que i’en soie au descure, que vous ne le contrediez, parquoy ie ne le puisse tuer. Car  mon cuer le desire. Et se ie en suys au pys, si me vueillez secourre, et sauoir à lui , se il se vouldroit accorder à la paix faire. Et ils  ont repondu : Ne vous en doubtez. Mais se le champ fust fait là hors, nous vous puissions mieulx aidier, se il en fust bedoing. Apres ce parlement, chacun se departi, et ala en sa place. Et les deux champions s’entreregarderent, et vindrent l’vn contre l’autre les glayues en leurs poins, comme fiers ennemiz. Puis vindrent courre leur cheuaulx, et eulx entreferir sur les escuz, tant que iceulx glaiues rompirent, et les fers en volerent. Mais l’vn ne l’autre ne chey ne tresbucha. Puis tray à son retour chacun son espée, et se sont rassemblé et entreferi de taille de d’estoq moult fierement. Et tant de gens y auoit entour eulx pour les regarder, que tous estoient enclos deuant et derriere. Mais ilz auoient place assez, qui par auant leur auoit esté ordonnée. Adonc s’en vint Bertran escoquier l’Engloiz de son espoy  au haubert moult fort en boutant, et puis au bacinet; et l’Engloiz aussi lui. Puis s’entracolerent par le haterel à tout leurs broiches de fer. Et fust-on bien allé vne lieuë de terre, ainçois que de leur corps yssy point de sanc : et fort s’esperouuoient aux espées. tant que l’Engloz, qui moult fort estoit en boutant, laissa cheoir son espée. Et quant Bertran le vit, qui moult joyeulx en fu, il poigny son cheual, et fist semblant qu’il voulzist fouyr. Mais tantost qu’il fu vn eslongné, il mist pié à terre, vint à l’espoy, et le releua. Puis le getta en l’air hors du champ, sur la tourbe des gens. Dont le Cheualier fu dolens et irié. Mais fort se deffendi de son coustel de plates. Mais Bertran lui escria : « Faulx traictre, defendez votre cheual, ou tout rn l’eure sera vendu et tué et puis vous occiray, car telle est ma voulenté » Mais l’Engloiz le fuyoit, et aloit autour du champ, sans arrester. Et Bertran ne pouuoit courir, pour ce qu’il auoit les genoulx armez. Adonc s’assit à terre, et se desattacha et desarma la iambe, pour auoir le genoyl à deliure, et estre plus legier. Et l’Engloz cheuaucha deuers lui, apresté de combatre. Et se il peust, il eust fait passer son cheual par dessus lui. Mais Bertran fery le cheual de son espoy parmy les costes. Et quant le cheual se senty feru, il regimba si fort, qui sus estoit, tresbucha à terre. Et atant Bertran sailly sur lui, et lui desboucha le bacinet. Puis il lui donna de son espoy sur le ney et apres des broches du gantelet, tant  que la sanc lui couroit sur le haterel. Et tant fu auuglez de sanc, que ainsi lui silloit, qu’il ne sot où il fu, ne point ne veoit Bertran, mais bien le sentoit. Dont se leua en estant. Et lors vindrent dix Cheualiers Engloiz, qui dirent à Bertran, qu’il ne se meust, et que assez en auoit fait. Et il leur respondi, que pour eulx il n’en feroit riens; se son Capitaine nommé Tort boiteux ne lui prioit, ou commandoit, qu’il se cessast : mais occiroit l’Engloiz fust bon gré, ou malgré. Atant vint le Tort boiteux, qui entra ou cham, et dist à Bertran, qu’il en auoit fait assez : et que se iamais paix ou acord n’en estoit fait, que ce seroit à son honneur : « Voire par Dieu, dist le Duc de Lanclastre, ce sera grant dommage, se Bertran meurt ainçois qu’il soit Roy d’aucune Royauté. Car oncques Alexandre, qui tant fu renommé, ne fu aussi hardi. Haa ! Seigneurs, dist Bertran, ne me raualez point pour Dieu, mais laissiez moy partuer ce traictre paruire. Car ce sera grant perte, se vous en destournez ». Adonc entrerent ou champ Engloiz, et ceulx de Dinant, qui se mirent entredeux pour faire laissier le champ. Mais Bertran leur dist « Seigneurs, laissiez moy ma bataille acheuer. Car par la foy que ie doy à Dieu, ou il se rendra à moy comme mon prisonnier, ainsi comme il a fait faire mon frere, ou ie le tueray tout mort. Dont dist Canole : Bertran, je vous requier, que vous laillez vostre champion au Duc. Car vous en auez assez fait, et est en vostre dangier. Et vecy le Tors boiteux vostre Capitaine, à qui tous ceulx de Dinant doiuent par droit obeir ; qui vous vient prier, comme vous vous en vueillez deportez. Dont dist Bertran quant ie l’orray parler, ie lui respondray du faire, ou du laissier. Adonc dist le Tors boiteux. Je vous prie et requiert, que au gré de Robert Canole vous vueillez faire paix, et nous vous garderons vostre droit. Adonc dist Bertran Ie l’octroy à vostre desir ». Dont fist-on l’Engloiz moult bien appareillier. Et de Bertran furent moult iojeulx dedens Dinant, et firent faire le soupper pour lui festoyer. Là vint son ante, qui l’acola, et lui dist, que moult l’auoit Dieux chier.  Adonc s’en ala Bertran ou Palais, et en la presence des Cheualiers, escuiers, et bourgoiz. Et s’agenoilla deuant el Duc, et lui dist : « Sire ne vous vueillez par merryr, se i’ay fait mon deuoir contre vostre Cheualier. Car il m’auoit fait desraison. Et se pour l’onneur de votre hault nom ne fust, iamais à sa sauveté ne me fust eschappez, que ie ne l’eusse occis. Bertran, ce dist le Duc, à ce que ou puet veoir, aussi grant honneur y auez vous euë, comme se vous l’eussiez occis. Car il auoit grandement  mespris. Si r’aurez vostre frere Oliuier. Et pour ce qu’il vouloit auoir mil flourins de rençon, il paiera à vostre frere mil liures, que le lui donne en par don ; pour ce que par trayson lui vouloit faire ennuy. et aussi ie vous donne son cheual, et toutes ses armeures, ne iamais en ma court ne mettra le pié. Car ie n’ay cure de gens, qui fassent trayson, ne point ne l’auons accoustumé en notre païs. Mais le iardin est bel et noble, où ourtye ne puet venir en sa saison ». Ainsi iegea le Duc de Lanclastre. Puis fist deliurer, et mener deuant lui Oliuier du Guesclin, et lui fist amender le tors fait plainement, ainsi comme iugé et ordonné l’auoit. Dont s’en rentra en son tref, et sa gent auesques lui ; et renuoya à Dinant ses ostages, ainsi comme il auoit promis. Et Bertran fu moult festoyez au soupper. Et là fu le Capitaine, qui moult noblement l’auoit fait aprester : et les bourgois et bourgoises de la ville aussi. Et apres sopper, chanterent, et danserent moult noblement, et grant fu l’esbatement. Et en ce temps estoit le Roy IEHAN filz du Roy Philippe en Engleterre. Et fist EDOVART vne armée en icelui temps, pour venir en France. Et vint iusques deuant  Rains. Et pour ce manda ses gens, qui estoient lors en Bretaigne, lesquelz entrerent en mer à Brest de lés Buhon. Et pour ceste cause fu leué le siege de Dinant. Et lors fu un Parlement d’Euesques et d’Abbez pour faire ordener un traictié. Parquoy certain acort fu fait entre les gens du Duc Charles et le Conte de Montfort. Et lors les Engloiz partirent de Bretaigne, et s’en retournerent en Engleterre, où ils trouuerent le nauire de leur Roy tout prest, que ledit passage vouloit faire en France. Ouquel voyage faisant par droit miracle de Dieu, et pour la punition diuine, vne tempeste et vn orage vint descendre sur l’ost des Engloz. Et cheoient les pierres si dures et si pesans, que plusieurs en estoient naurez, et tous senglans. Et se mussoient et quatissoient, et disoient entr’eulx, que cestoit aucun signe et demoustrance, que Dieu leur faisoit. Et en icelle saison, le Roy Edouart passa la mer, et s’en retourna en Engleterre, ou estoit ce tres-exellant Prince le bon Roy Iehan fils du bon Roy Philippe de France, qui  tant furent hardiz et cheualereux. Et tant amerent leurs subgiez, que pour la deffence du peuple vouldrent auenturer leur corps en batailles mortelles contre les Engloz ennemis du Royaume. Le Duc de Blois out moult à faire, et plus encores eust, se ne fust Bertran, et les bons Cheualiers, qui lui aidoient. Et pour certain le Roy Engloiz perdy plus en ce voyage, qu’il n’y gaaigna. Et durant icellui, ainsi comme il plut à Dieu, que vne maladie du ventre vint au Duc de Lanclastre, pour quoy, tant pour icelle occupation, comme pour autres, et par especial que lui et ses gens auoient esté tous affamez en la cheuauchée, que faite auoient esté en l iuer precedant, parmy le Royaume de France, s’en retourna en Engleterre. Et en icellui temps gouuernoit Bertran la guerre en Bretaigne pour ledit Charles de Blois, qui lors n’estoit pas si puissant de gens, comme le Conte de Montfort.

(1) Bertrand semble devoir descendre de Salomon père de Richet lequel Salomon, fils d’Haimerici époux de la vicomtesse Roianteline, fut en autre le frère naturel de Goscelin de Dinan ; lors de la répartition de cette très grande seigneurie, grande répartition faite au lendemain de la mort de son père, époux de la Vicomtesse Roianteline, Salomon enfant bâtard né hors union semble recevoir toute le Guarplic, à savoir tout l’actuelle région de Cancale-Saint Coulomb

(2) Robin de Raguenel participera au mois de mars 135, au Combat des Trente dans les rangs de Jehan de Beaumanoir celui-ci ayant pris le parti de Charles de Blois contre Jean de Montfort ; 15 valeureux chevaliers mourront lors de ce combat livré entre Ploërmel et Josselin.


(3) Guillaume Raguenel trouvera la mort en 1364 lors de la célèbre bataille d’Auray, bataille opposant les troupes Anglo bretonne de Jean IV de Montfort à celle Franco-bretonne de Charles de Blois. Tiphaine, fille de Guillaume, descendait par sa mère Jeanne de Montfort du célèbre Raoul 1er de Gaël, seigneur de Gaël et de Montfort près de Rennes, du Largez en Louargat et comte aussi et de Norfolk et de Suffolk en Angleterre ; celui-ci meurt lors du siège de Nicée en 1097 pendant la 1ère croisade
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(4) Muliel de Poudouvre était la fille de Brient comte du Poudouvre et donc de ce fait la sœur d’Alain dit fils de Brient; celui-ci sera cité en 1184 dans un acte relatant un désaccord profond ayant alors éclaté entre lui même et l’abbaye de Saint-Magloire de Léhon. En cet acte rédigé Alain se présentera comme étant l’héritier des seigneurs du Poudouvre ayant eu pour ancestres ces derniers ; pour certains Alain fils de Brient serait Alain de Brehant, seigneur du Poudouvre.