Robin de Loxley, outlaw.

Nous avons tous aimé, lorsque nous étions enfants, les légendes emplies de preux chevaliers. Et je me souviens encore de ces heures passées à lire… et à relire, souvent même, ces aventures épiques. Les premières heures de la jeune Angleterre, ou la légende arthurienne aussi, furent ainsi le creuset de mon enfance… la fuite de mes heures. Elles furent souvent le berceau de mon propre silence… ou celui de l’abri du moment.

Maintenant que je suis grand, très grand… et le cheveu déjà grisonnant, je continue pourtant à m’émerveiller devant toutes les histoires d’enfants. Pourquoi… dites-moi ? Pourquoi donc ?

Parfois, l’Histoire, le hasard aidant, rattrape les livres tracés… les livres écrits… les livres que nous avons tant aimés. Et ce que nous pensions ne relever que de l’imaginaire se dévoile, tout à coup, au travers du voile de la stupeur… la Vérité.

Les légendes, par définition, sont toujours le fruit de cet imaginaire. Mais quelquefois, cependant, elles se révèlent être bel et bien la construction d’heures réelles et sombres… des heures déposées par un long cheminement au plus profond de notre mémoire collective. Elles sont, à la longue, les années se succédant aux années, inéluctablement transformées en récits… ou en mythes.

Qu’en fut-il de celle de Robin des Bois, cet outlaw au cœur si généreux, au cœur si pur ? Fut-elle, elle aussi, entièrement imaginaire, ou bien romancée ? Et même si cela était… que viendrait-elle faire ici même, sur ce bout de papier écrit par un simple Côtissois ?

L’histoire romancée de Robin des Bois a sa vérité… sa propre vérité… même si celle-ci n’est pas le récit relatif à un seul personnage. Elle est, en effet, l’assemblage d’un ensemble de faits authentiques, plus ou moins sombres, tous relayés, tissés, puis transformés par cette même mémoire collective. Ah, imaginaire… si tu n’étais !

Les XIIᵉ et XIIIᵉ siècles, en Angleterre, furent le canevas de ce récit. Les luttes intestines entre les rois successifs et certains barons anglo-normands, tout au long de cette longue période, construisirent ce personnage légendaire au travers du vécu réel de quatre outlaws, de quatre bandits différents… mais quatre bandits reliés les uns aux autres par un même récit, par une même légende, par une même envie, fût-elle personnelle.

De telles belles histoires, il y en a moult d’autres bien sûr, mais pour la plupart d’entre elles, aucun acte officiel n’a jamais été établi. La preuve écrite sur le parchemin n’existe pas. Elles sont alors toutes tombées du côté obscur de la Légende.

Et pourtant, au British Museum, soigneusement conservés, reposent sur de vieux parchemins les comptes rendus de certains procès judiciaires relatifs aux agissements des deux premiers et plus importants de ces quatre outlaws. Ces derniers, pour les historiens anglais, passent en effet pour avoir été les voleurs-bandits ayant le plus contribué à la construction de l’histoire de Robin des Bois. Nobles de sang, barons ils étaient. Il s’agit, de fait, de Fulk II et de Fulk III Fitzwarin, père et fils.

Les pièces judiciaires ainsi établies scrutent ces barons contestataires au travers de leur personne, de leurs propriétés foncières, de leurs faits et gestes, et citent également les membres de leur famille proche. Et, quelque part, la place me manque ici pour vous relater en détail leurs vies de hors-la-loi, l’origine de leur marginalisation, de celle de leur famille toute entière. Et peut-être, aussi, ne dois-je pas aller vers l’ennui, mais plutôt vers l’essentiel, tout en abordant un peu, cependant, leur généalogie commune. Car celle-ci est indispensable… si nous voulons pouvoir positionner ces individus les uns par rapport aux autres.

Dans la continuité d’un texte écrit à l’occasion de la fondation du prieuré de la Magdeleine du Pont de Dinan, on apprend que plusieurs familles seigneuriales de notre région émigrèrent en Angleterre. Alors que la motte féodale de Léhon dressait depuis peu ses pieux de bois au-dessus de la Rance, Geoffroy Ier de Dinan, né vers 1060, seigneur des lieux jusqu’en 1123, autorisa la construction du prieuré du Pont de Dinan, proche de ce pont. Ce fait est relaté dans un acte écrit, lequel est aujourd’hui le plus ancien manuscrit relatif à notre commune. Dans cet acte non daté, Geoffroy donne certaines de ses terres avec l’assentiment d’Alain de Dinan, l’un de ses fils, frère de Josselin de Dinan.

Geoffroy de Dinan, accompagné de ses trois fils, à savoir Alain, Olivier et Josselin — ou Josce de Dinham — participera à l’après-conquête de l’Angleterre, appelés par Henry Beauclerc Ier. Ils seront là-bas, loin de leur seigneurie de Dinan, tous les quatre de grands possessionnés. Olivier (Oliver) et Josselin (Josce) feront personnellement souche sur cette terre nouvelle. Olivier, toutefois, retournera sur sa terre natale, sur laquelle il fera construire l’abbaye de Boquen… il y sera inhumé. Et il en sera de même pour la branche première seigneuriale de Lanvalei, au travers de Radulfus.

William II de Lanvalei, fils de William Ier et père de William III — Lauualaeio dans son orthographe première — sera, par sa mère, l’un des descendants de Richard II, duc de Normandie… ce dernier étant lui-même le grand-père de Guillaume le Conquérant. William Ier de Lanvalei, né vers 1130, gouverneur de Colchester et sénéchal du roi à Rennes en 1166, aura en effet pour épouse Guénora de Sancto Claro — de Saint-Clair — à savoir la propre fille de Hamon de Saint-Clare, connétable de Colchester et seigneur de Walkern, seigneur né vers 1020. En vérité, William Ier et son beau-père étaient tous deux de la même ligne générationnelle… Guénora étant beaucoup plus jeune que son époux.

Il nous faut savoir aussi que Hubert, de par sa naissance, était l’arrière-petit-fils de Waldern de Saint-Clair, lui-même fils de Mauger le Jeune, comte de Corbeil, archevêque de Rouen. De fait, ce dernier était l’un des fils naturels de Richard II de Normandie. William Ier de Lanvalei, connétable du château de Colchester, sera effectivement entre 1166 et 1168 le sénéchal de Rennes pour Henry II, roi d’Angleterre. Alain, son neveu, fils d’Aimeric et frère aîné de Jehan, participera personnellement à la guerre menée contre les Cathares. Souche des seigneurs de Lanvallay et de Tressaint, concepteur du couvent des Jacobins de Dinan, Alain décédera moine… en odeur de sainteté… à Orléans.

Déjà présente vers 1160 sur les terres de la seigneurie de Walkern, dans le Sussex, cette famille Côtissoise dite de Lanvallay, près de Dinan, à l’instar de Josselin de Dinan, restera, via William, définitivement sur ses terres anglaises acquises. De cette famille descendent aujourd’hui, entre autres, les enfants de feue Lady Diana Spencer.

Mais revenons à notre histoire.

Jean sans Terre est roi d’Angleterre en 1199. Ce dernier se révèle être un roi… très financier, dirons-nous. Il applique très tôt, en effet, des mesures antiseigneuriales, qu’elles soient financières ou sociales, remettant en cause, entre autres, le principe même de la propriété… par l’expropriation. Les seigneurs anglo-normands vont, eux aussi, se fédérer très tôt contre Jean, se fédérer autour d’un noyau seigneurial qui sera à l’origine même de l’une des premières révolutions sociales anglaises… anglaises pour ne pas dire européennes. Ce mouvement débouchera sur ce que l’on appellera la Magna Carta, ou la Grande Charte, laquelle obligera le roi à respecter, parmi d’autres choses, l’ensemble des biens fonciers des différents barons, et leurs droits féodaux aussi.

Le baron de Walkern, William III de Lanvalei, fils de William II cité ci-dessus, sera l’un des vingt-cinq barons devant veiller à sa bonne exécution. Déjà, son père, William Ier Lanvalei — mort en 1180 — sera cité sur un écrit plus ancien relatif à la Constitution de Clarendon… en fait, certains considèrent cette même constitution comme étant la première révolution sociale anglaise… rédigée par Henry II d’Angleterre en 1164.

Dans les premières années du XIIIᵉ siècle, il était un jeune baron nommé Fulk II de Fitzwarin — Fitzwarin, pour fils de Warin. Fulk était le fils de Fulk Ier et le petit-fils de Warin, seigneurs de Whittington. Seigneur du castel de Whittington, l’ensemble de ses domaines sera ainsi saisi. Il sera effectivement dépossédé de tous ses biens, et traité d’outlaw, avec une excessive autorité et une grande injustice royale. Fulk jure aussitôt, sur son honneur, de ne plus devoir aucune allégeance à Jean, et renonce définitivement, par ce fait même, à le reconnaître pour son roi. Il n’est désormais plus son vassal. Il est devenu, ainsi, du jour au lendemain, un outlaw, assis illégalement sur des terres qui, hier encore, étaient les siennes… celles de son père. Ce seul litige personnel va en effet s’étirer sur deux générations, entraînant dans une même lutte, dans un même combat, le père et le fils. Le personnage principal de cette scène féodale sera Fulk III de Fitzwarin, le fils de Fulk II, lui-même petit-fils, par sa mère, de Josce — ou Josselin — de Dinan.

Les actes judiciaires relatifs à leurs procès, écrits sur des rouleaux de parchemin aujourd’hui conservés au British Museum, expliquent à eux seuls la raison de la révolte des Fulk, père et fils… laquelle sera reprise par l’ensemble des barons anglo-normands. Ces dépositions judiciaires les présentent tous deux comme étant des parias… des voleurs… des outlaws, pourchassés par la justice royale. La mémoire des hommes, cependant, enregistrera un récit beaucoup plus humain… un récit beaucoup plus profond… un récit beaucoup plus populaire… repris par toute une population, par tout un peuple, par tout un pays. Celui-ci sera transmis de génération en génération, et la légende ainsi construite fera très tôt — dès le XVe siècle — l’objet d’un récit manuscrit à l’origine de la célèbre histoire de Robin des Bois.

Mais qui étaient ces deux Fulk de Fitzwarin ? Pourquoi ces personnages réunis nous intéressent-ils aujourd’hui ?
Le fait de connaître leur contribution importante, sinon essentielle, à la construction de la légende de Robin des Bois, est-il suffisant ?
Les noms déposés dans ces rouleaux de justice vont nous l’apprendre sans tarder.

Fulk II de Fitzwarin, sur ce sol qui l’a vu naître, l’Angleterre, va rencontrer sa future épouse, mère de Fulk III. Elle se prénomme Hawise — Havoise — de Dinham. Elle était la fille de Josce — Josselin — de Dinham susdit… Dinan… seigneur très possessionné en Angleterre, propriétaire du château et des terres de Ludlow dans le Shropshire… biens matériels assis sur les marches galloises. Alain, Josselin et Olivier de Dinan entreront en possession des terres anglaises de Geoffroy Ier de Dinan, leur père, lorsque celui-ci rentrera en Bretagne. Henry II, roi d’Angleterre et père du roi Jean sans Terre, offrira également à Josce les terres et le manoir de Lambourn, dans le Berkshire, les terres du Ginge en Wantage aussi… et ceci n’est qu’un tout petit aperçu de l’ensemble de ses biens, relativement importants il est vrai. Josce de Dinham est cité comme étant un « parent rebelle » sur les actes judiciaires relatifs à Fulk II.

Fulk III, fils de Fulk II et de Hawise de Dinham, sera réuni dans la légende à Mathilda Fitzwalter, tous deux cités sous les noms de Robin des Bois et de Marianne. Mais ils n’ont pas eu, dans l’Histoire, un destin commun, il est vrai. Mathilda Fitzwalter, ou Marianne, est une personne ayant réellement existé, elle aussi. Enfant de Robert Fitzwalter, baron et futur meneur responsable de la Magna Carta, elle est le sujet principal d’un autre drame provoqué par le roi Jean. Cette jeune et très belle damoiselle tombera follement amoureuse d’un jeune chevalier inconnu lors d’un tournoi auquel assistera le roi Jean. Ce dernier essayera de jeter son dévolu sur Marianne, mais en vain. Les deux jeunes amants seront obligés de s’enfuir tous les deux dans la forêt… et là, parmi les arbres, sous leur frondaison, ils s’uniront et s’aimeront. Le roi Jean, alors très jaloux, fera assassiner le jeune époux et offrira anonymement un bracelet empoisonné à la jeune veuve. Marianne mourra. Le gisant de Marianne est toujours visible aujourd’hui en l’église du prieuré de Little Dunmow, dans l’Essex.

Il est également à noter la parenté existante entre Maud le Vavasour et Mathilda Fitzwalter. Maud le Vavasour, compagne de Fitzwarin III et belle-fille de Fitzwarin II, aura en effet pour premier mari Thibault Fitzwalter, parent de Robert Fitzwalter susdit. Il faut noter que Mathilda est le synonyme de Maud en anglais… et qu’il signifie Marianne en français.

La légende de Robin des Bois s’est construite à partir de plusieurs faits historiques relatifs à la Magna Carta… faits dont certains des acteurs furent Fulk II et III, Josce de Dinham et Mathilda Fitzwalter… pour ne faire plus qu’un récit qui gardera en mémoire cependant la trace écrite de l’implantation géographique de certaines de leurs terres, de certains de leurs manoirs. Ce fait, à lui seul, tend à confirmer le rapport historique établi entre la légende et ces quatre personnages.

Les descendants de Josce de Dinham, et Fulk III de Fitzwarin lui-même, retrouveront tous l’ensemble de leurs biens spoliés après la signature de la Magna Carta en 1215. William III de Lanvalei, lui-même, prendra fait et cause de cette lutte intestine, laquelle débouchera en effet sur ladite Magna Carta. Représentant, parmi vingt-cinq barons, l’ensemble des barons en révolte, William sera chargé de la bonne application de la Charte.

Jean, cependant, sitôt la charte signée, se tournera vers le Vatican… lequel voyait, depuis Rome, d’un très mauvais œil cette première révolution sociale… celle-ci émancipant le sujet de son propre seigneur direct. Le Pontife jettera l’excommunication — arme ultime — sur l’ensemble des barons. Jean en profitera pour les spolier de tous leurs droits et possessions. Voués à passer l’éternité dans les flammes de l’enfer, la totalité des barons n’eut alors pas d’autre choix que de demander pardon au roi indigne d’eux. Chacun devra verser des amendes financières à Jean pour récupérer ses biens spoliés la veille.

Finalement, c’est Jean qui récoltera la Sainte Colère Divine, puisque celui-ci décèdera l’année suivante, en octobre 1216.

Josce de Dinham — Josselin, qui sera présent à Dinan en 1108, au côté de son père Geoffroy Ier de Dinan, lorsque celui-ci donnera aux moines de Saint-Martin-le-Grand de l’abbaye de Marmoutier l’église de Saint-Malo de Dinan —, beau-père de Fulk II et grand-père de Fulk III, sera donc également, lui aussi, par la seule généalogie, l’un des tout premiers acteurs, artisans de la légende de Robin des Bois.

Finalement… si Josce n’avait pas « été »… est-ce que la légende de Robin des Bois aurait été ? J’aime à penser que le grand-père de Robin Wood, petit garçon, était là, au bord de la Rance… lorsqu’avec son père et ses frères… il offrit une terre pour la fondation de notre petit prieuré du Pont à Dinan. Il était probablement déjà Côtissois de cœur, avant même que je le sois.

Chaque jour apporte sa propre écriture, sa propre page. Que j’aime cela… que j’aime cette pensée… il est vrai.

🕊️ Rêvé, murmuré, écrit…
Par un petit garçon de Lanvallay et un petit garçon de Sherwood…
…qui, un soir, ont compris qu’ils marchaient ensemble…

…dans le même conte. Pour toujours.

Jean-Pierre & Elios
Outlaws de cœur. Gardiens de la légende.