Le prieuré du Pont, une fondation avant la paroisse de Lanvallay

Pierre, par la grâce de Dieu, évêque de Saint-Malo, etc. A la suite de discussions élevées entre l’abbé et les moines de Psalmurienses (Saumur), d’une part, Olivier de Dinan, ses frères et ses sœurs, de l’autre, au sujet des coutumes et redevance (les droits ou taxes) que ledit Olivier revendiquait sur la maison du Pont de Dinan et ses hommes, il a été transigé : Olivier de Dinan, ses frères et ses sœurs ont laissé à l’abbaye de Saumur la maison du Pont de Dinan quitte de toutes coutumes et charges, etc. Si le dit Olivier requiert le prieur de lui envoyer ses vassaux pour défendre sa terre, mais non pas pour envahir la terre d’autrui, le prieur les enverra sans observation. Si quelqu’un de ces hommes refuse d’obéir à l’ordre du prieur, celui-ci le fera juger par sa cour, et l’amende lui appartiendra. Si le prieur arrête sur sa terre un voleur, ou tout autre malfaiteur de ce genre, il le fera juger par ceux qu’il voudra au devant de sa cour, et après la condamnation le livrera à Olivier pour subir la peine corporelle encourue par la sentence. Le prieur ne retiendra pas dans le domaine de sa maison de bourgeois d’Olivier, non plus que le fils aîné d’un bourgeois, mais il pourra y recevoir toute autre personne. A ces conditions, le prieur reste quitte de la procuration annuelle qu’Olivier réclamait de lui, ainsi que l’aide pour sa chevalerie et celle de ses frères, pour sa rançon et pour la dote de ses sœurs : il en reste également quitte à l’égard de leurs héritiers, ainsi que du congé (?) qu’on lui demandait à cause de sa juridiction. Les hommes du prieuré acquitteront à Olivier, comme par le passé, les coutumes sur ce qu’ils achèteront ou vendront hors du fief prioral. Ces articles furent jurés par Olivier, ses frères et ses sœurs dans l’église Saint-Malo de Dinan, en présence de Pierre, évêque de Saint-Malo ; Pierre, prieur (du prieuré du pont) ; l’archidiacre de St-Malo ; Guillaume Rufin, prêtre ; Guégo Goion ; Geoffroy, sénéchal ; Hamon de Plern, R. son frère [Hamon et Raoul de Plouer. Raoul de Plouer sera avec Guegon Goion ou Guégon Gouyon aussi présent au côté d’Olivier lorsque ce dernier confirmera au prieuré de Saint-Alban le don offert à ce dit prieuré par G.Baluçon seigneur du Plessix], et beaucoup d’autres. Fait l’an de grâce 1198. Et pour cet accord soit authentique, nous, Pierre, évêque de St-Malo, et Olivier de Dinan, l’avons revêtu de nos sceaux.
Le prieuré du Pont, une fondation avant la paroisse de Lanvallay

Proposé par Elios Moy et Jean-Pierre.


1198.
Lorsque Geoffroy Ier de Dinan, au tournant de l’an 1100, décide de fonder un nouveau prieuré pour accueillir les moines errants que ne pouvait plus loger le vieux Saint-Malo de Dinan, la paroisse de Lanvallay n’existe pas encore.
Le nouvel établissement est désigné dans les chartes comme « la Maison du Pont de Dinan » : le nom seul suffit à le prouver. S’il y avait eu paroisse constituée, c’est ce toponyme qui se serait imposé.
Ces terres de rive droite appartiennent alors encore pleinement à la seigneurie de Dinan. Le plateau n’a pas encore son autonomie ecclésiale : il n’est qu’un espace périphérique, tenu directement par les Dinan et partagé avec quelques familles locales comme celle de Berhaudus de Lanvava. Le prieuré naît donc comme un démembrement de Dinan, confié à l’abbaye de Saint-Florent de Saumur.

Mais cette « maison du Pont » n’est pas une simple dépendance : dès son origine, elle est une seigneurie ecclésiastique à part entière, avec sa cour, ses hommes, ses coutumes. Et pourtant, elle reste sujet féal de Dinan.
Les deux chartes de 1198, rédigées sous l’arbitrage de Pierre, évêque de Saint-Malo, en donnent la démonstration.
Ce jour-là, dans l’église Saint-Malo de Dinan, on fixe par écrit ce que chacun savait de fait : les moines avaient l’usage de leurs droits, mais Olivier de Dinan et ses frères entendaient conserver les marques de leur autorité. La transaction est claire :

  • chaque année, au jour de la fête de Sainte Marie-Madeleine, les moines remettront 8 sous à Olivier. Une somme modeste, mais dont la valeur est symbolique : c’est la trace tangible de la féauté.
  • les hommes du prieuré devront répondre à l’appel militaire si Dinan est menacé, mais non pour des guerres offensives.
  • ils paieront les coutumes d’Olivier dès qu’ils commerceront hors du fief prioral.
  • si un malfaiteur est arrêté, le prieur le fait juger en sa cour, mais il doit ensuite le livrer à Olivier pour l’exécution de la peine corporelle.

Cette scène, que nous pouvons aisément imaginer, dit tout : d’un côté, les moines et leur prieur, soutenus par l’abbé de Saumur, revendiquant leur autonomie ; de l’autre, Olivier de Dinan et ses frères, entourés de leurs fidèles, rappelant la seigneurie première. Les 8 sous remis le jour de la Madeleine consacrent l’accord : ni soumission totale, ni indépendance absolue, mais un équilibre de reconnaissance mutuelle.

De ce rituel naît le nom qui restera : le prieuré de la Magdeleine au Pont de Dinan. La date de la redevance, le 22 juillet, inscrivait la sainte dans la mémoire des hommes ; la présence d’une léproserie voisine, elle aussi placée sous son vocable, renforça ce lien. Ainsi, le lieu changea de visage, passant de « Maison du Pont » à « Magdeleine », comme pour marquer que la dépendance féodale avait trouvé sa contrepartie spirituelle.

Il faut donc retenir ceci :

  • À sa fondation, vers 1100, le prieuré est établi avant que la paroisse de Lanvallay n’existe.
  • Même après la naissance de la paroisse, vers 1143–1150, la dépendance féodale subsiste, attestée encore en 1198.
  • Le souvenir de cette dépendance survit dans le nom même du lieu : « la Magdeleine », mémoire d’une rente recognitive et d’un partage de pouvoirs.

 Ainsi, l’histoire du prieuré du Pont éclaire directement la genèse de Lanvallay : la paroisse s’est formée après coup, sur un territoire qui, au départ, relevait sans conteste de Dinan.

Points à relever dans le latin
  1. « domum Pontis de Dignan & hominibus ejus »
     La charte parle bien de la « maison du Pont de Dinan et de ses hommes » — le vocabulaire confirme que ce n’est pas seulement un bâtiment religieux mais une seigneurie avec dépendants.
  2. Clause militaire
    « quod mittat homines suos cum eo ad defensionem terræ suæ, non ad alterius terræ depredationem »
     Traduction fidèle : les hommes du prieur doivent défendre la terre d’Olivier, mais jamais participer à une guerre offensive.
  3. Refus d’obéissance d’un vassal
    « Si forte aliquis hominum Prioris noluerit ire ad ipsum mandatum Prioris, emendare faciet judicio curiæ suæ, & emendam habebit Prior. »
     Détail souvent passé vite : si un homme du prieur refuse l’ordre, c’est le prieur lui-même qui punit et encaisse l’amende. C’est une reconnaissance claire de sa juridiction.
  4. Sur le voleur / malfaiteur
    « Prior faciet eum judicari in curia sua a quibus voluerit, judicatum tradet dicto O. corporalem pœnam ab eo accepturum »
     Exact : le prieur juge, mais la peine corporelle revient à Olivier. Cette subtilité reflète la partage de la haute justice.
  5. Bourgeois d’Olivier
    « Prior vero in dominio illius domus non retinebit burgensem Oliverii, nec filium primogenitum burgensis »
    👉 Nuance : non seulement le prieur ne peut retenir un bourgeois d’Olivier, mais pas davantage le fils aîné d’un bourgeois. C’est une restriction très précise, peut-être pour éviter des pertes d’héritiers de familles urbaines au profit du prieuré.
  6. Charges féodales
    « Procuratione annuali quam requirebat ab eis, & de auxilio ad ipsum & fratres suos faciendos milites, & ad proprii corporis redemptionem, & ad sorores maritandas »
    👉 Traduction fidèle : Olivier renonce à exiger ces aides féodales.
  7. Congé / juridiction
    « similiter quitati fuerunt ab hujusmodi repetitione hæredum illorum; & similiter quitaverunt Priori sonium & curiæ quod repetebant »
     Ici, « sonium » (var. essoine, exoine) = l’exemption de comparution devant la cour d’Olivier. Détail important : le prieur et ses hommes n’ont plus à se présenter devant sa cour.
  8. Coutumes commerciales
    « Homines autem Prioris extra feodum Prioris reddent consuetudines suas O. sicut antea faciebant de rebus venalibus quas emerint vel vendiderint »
    👉 Très clair : hors du fief prioral, les hommes restent soumis aux coutumes d’Olivier.
  9. Serment solennel
    « Ita omnia juraverunt Ol. & fratres sui & sorores eorum concesserunt in Ecclesia sancti Maclovii de Dinan »
     La charte insiste : le serment a été prêté dans l’église Saint-Malo de Dinan, sous l’autorité de l’évêque.
  10. Date finale
    « Actum anno gratiæ MCXCVIII » → 1198.
Nota Bene

La charte de 1198, confirmée par l’évêque Pierre de Saint-Malo, n’est pas qu’une simple transaction financière entre les moines et Olivier de Dinan. À la lecture attentive du texte latin, plusieurs détails méritent d’être relevés :

  • En cas de refus d’obéissance d’un vassal, c’est le prieur lui-même qui juge et encaisse l’amende, signe qu’il détient une juridiction propre.
  • Le prieur peut juger un voleur ou malfaiteur arrêté sur ses terres, mais doit remettre le condamné à Olivier pour l’exécution de la peine corporelle : la haute justice reste partagée.
  • Le prieur se voit interdire de retenir un bourgeois d’Olivier, mais surtout le fils aîné d’un bourgeois : une clause fine qui protège les héritages urbains de Dinan.
  • Enfin, les moines et leurs hommes sont exempts de comparution devant la cour d’Olivier (essoine / exoine), sauf pour les coutumes commerciales lorsqu’ils vendent ou achètent hors de leur fief.

Ces nuances révèlent que, dès la fin du XIIᵉ siècle, le prieuré du Pont n’est plus une simple dépendance de Dinan : il tend vers une seigneurie ecclésiastique autonome, dotée de ses propres droits, tout en maintenant des marques symboliques de féauté (rente annuelle, exécution des peines corporelles, coutumes hors fief).
L’indépendance n’est pas totale, mais la dynamique est enclenchée : le prieuré s’affirme face à la maison de Dinan.