Le pressoir de lanvallay :

Une seigneurie née de l’entrelacs des Boterel et des DinaU

Lorsqu’au début du XIIᵉ siècle fut fondé le prieuré du Pont à Dinan, la paroisse de Lanvallay n’existait pas encore. L’acte fondateur le dit assez : l’établissement est alors désigné comme « domus Pontis Dinanni », la maison du Pont de Dinan, car il repose encore sur des terres qui relèvent pleinement de la seigneurie de Dinan. Ce nom premier n’est pas un simple détail : il inscrit le prieuré dans la mouvance directe de la maison de Dinan.
Pourtant, au même moment, un faisceau d’indices montre déjà que ce prieuré ne vit pas seulement de l’ombre du castrum, mais qu’il tire sa substance d’un territoire plus vaste.
Ainsi, une charte stipule que le prieur « tertiam partem decimae de La Loy [Lanvallay]… colligere poteriam » : le tiers de la dîme de Lanvallay revient au prieuré, à percevoir directement par ses serviteurs.
Autrement dit, dès ses premières décennies, le prieuré dispose de droits assis sur le plateau côtissois.
Et ces droits ne pouvaient lui venir que des seigneurs Dinan eux-mêmes, en particulier de Riwallon le Roux, qui, avec ses descendants, possédait sur ce plateau des terres dont le souvenir reparaîtra encore un siècle plus tard dans les querelles de dîmes et de pressoirs.

C’est ici que tout bascule : car la seigneurie de Lanvallay, née autour d’Alain fils d’Henry, ne pouvait s’ériger sur les seules terres de son oncle Berhandus de Lanvava.
Les biens de ce dernier, bien que réels, n’auraient pas suffi à constituer un domaine seigneurial de cette ampleur.
Pour expliquer cette fondation, il faut donc admettre un second apport : celui des biens Dinan, transmis par Riwallon le Roux et relayés par son fils Radulfus filius Riwalonis.
Dès lors, une hypothèse prend toute sa force : Alain, fils d’Henry (Aimeric) Boterel, aurait épousé une fille de Radulfus. Par cette union, les biens des Lanvava (via Berhandus) et les biens Dinan (via Riwallon) se trouvent réunis dans une même main, permettant la naissance d’une seigneurie neuve, Lanvallay, autour de 1120–1140.
Cette lecture n’est pas un artifice : elle explique des faits demeurés jusque-là obscurs.

– Elle éclaire la présence partagée des Lanvalei et des Coëtquen dans la paroisse de Lanvallay : tous deux héritiers de Riwallon, ils se disputent pressoirs et dîmes.

Une charte nous dit que le prieur « de torculari vero medietatem percipis, et praefatus Oliverius quod necessit fuerit ad opus torcularis de nemore providebit » : le pressoir est partagé entre prieur et seigneur, l’un fournissant la moitié des revenus, l’autre le bois pour son fonctionnement. Voilà un signe tangible de la double origine des droits sur Lanvallay.

– Elle justifie la garde confiée à Alain de Dinan-Vitré du château de Lanvallay, vers 1160–1180, lorsque les Lanvalei, absents, ne peuvent défendre leur place. Ce geste n’est pas un hasard : il traduit la proximité de sang et de droits entre ces deux lignées.

– Elle donne enfin un sens à la persistance du nom « maison du Pont de Dinan », qui rappelle que, même après la naissance de la paroisse de Lanvallay, le prieuré demeure longtemps marqué du sceau de sa dépendance originelle à Dinan.
La charte de 1198 le confirme, où Olivier de Dinan, ses frères et ses sœurs renoncent à leurs coutumes mais imposent au prieur de leur verser chaque année, à la fête de Sainte Marie-Madeleine, une rente de huit sous : « reddant ei VIII solidos annuatim festo B. M. Magd. ».

Ainsi se dessine une vérité que personne n’avait osé pressentir : Lanvallay n’est pas née de l’ombre seule de Balao et de ses landes, ni du seul rameau des Lanvava, mais de la convergence de deux lignées cadettes, Boterel et Dinan, unies par un mariage discret et fécond.
De ce tissage naît une seigneurie nouvelle, à la fois fille des landes et fille du castrum, partagée entre deux cousinages qui, tout au long du XIIᵉ siècle, n’ont cessé de se répondre et de se croiser.


 Nota bene

Aucune charte conservée ne mentionne explicitement l’union d’Alain fils d’Henry avec une fille de Radulfus filius Riwalonis. Mais cette hypothèse, si on l’admet, permet de résoudre d’un seul trait trois énigmes demeurées jusque-là sans explication :

  1. L’ampleur territoriale de la seigneurie neuve de Lanvallay : elle ne pouvait provenir des seuls biens de Berhandus de Lanvava, mais bien d’un double héritage, Boterel et Dinan.
  2. Le chevauchement des droits entre seigneur et prieur : dîmes, pressoir, obligations de justice partagées montrent que deux lignées avaient transmis des droits entremêlés.
  3. La garde du château confiée à Dinan-Vitré vers 1160–1180 : ce choix n’a de sens que dans le cadre d’une parenté réelle, assurée par cette alliance.

Ainsi, cette possibilité matrimoniale — qu’aucun document n’atteste mais que tout le contexte rend plausible — éclaire d’un jour nouveau la naissance de Lanvallay. Elle ne relève pas du roman, mais du travail critique de l’historien, qui, faute de preuve directe, ose proposer ce qui relie et explique les faits.

✦ Et c’est peut-être dans cet élan d’oser que se trouve la vraie jouissance de l’histoire : celle de donner sens à ce qui restait muet, et de libérer, comme une déflagration, la vérité retenue depuis tant de siècles dans cette charte.
Et ainsi auraient parlé ensemble Cowper et Cupidon : on ose, ou l’on n’ose pas.

Charte :

Universis S.[sancte] matris ecclesie filiis presentes litteras inspecturis, P. [Petrus ] archidiaconus Maclovii, salutem. Noverit universitas vestra controversiam que inter E. [Evano] priorem pontis Dinanni ex una parte et O. [Oliverius] de Coiequen, militem, ex altera, vertebatur in presentia nostra sopitam esse in hunc modum, videlicet quod dictas prior, de cetero tertiam partem decime de La Loy [de Lanvalaio ou de Lanvallay] prioriis servis colligere poteriam, vel ad firmam tradere, cui placuerit de torculari vero idem prior mediatem percipis et praefatus O. [Oleverius] quod necessit suerit ad opus torcularis de nemore providebit procurationem siquidem, quam idem O. [Oliverius] in domo Pontis postulabat, omnimo quitavit et etiam avenagium quod ab hominus prioris petebat. De mina autem frumenti, quam idem prior ab dicto O. [Oliverius] petebat concessit se nostro standum consilio. Concessit etenim praedictas O. [Oliverius] quod pacem istam tenere facies ab uxor suas fratibus suis et concedere. Archives départementales du Maine et Loire : ADML H3360-


Traduction de la charte (ADML H 3360)

À tous les fils de la sainte Église qui verront ces présentes lettres, moi P[Pierre], archidiacre de Saint-Malo, salut.
Que toute l’assemblée sache que la controverse qui s’était élevée entre E[van], prieur du Pont de Dinan, d’une part, et O[livier] de Coëtquen, chevalier, d’autre part, a été apaisée de la manière suivante :

— Le dit prieur pourra désormais recueillir par ses propres serviteurs la troisième partie de la dîme de Lanvallay (La Loy / Lanvalaio), ou bien la donner à ferme à qui il voudra.

— Du pressoir (torculari), le même prieur percevra la moitié des revenus, et ledit Olivier fournira le bois nécessaire à l’entretien du pressoir.

— Quant à la procuratio (redevance d’entretien/hospitalité) que ledit Olivier réclamait dans la maison du Pont, il y a totalement renoncé.

— De même, il a abandonné l’avenagium (droit en avoine) qu’il exigeait des hommes du prieuré.

— À propos de la mine de froment que le prieur réclamait de lui, Olivier a consenti à se soumettre à notre décision.
Enfin, ledit Olivier a promis que cette paix serait tenue et confirmée par sa femme et ses frères.