
Guillaume duc combat contre Dinan

La motte primitive de Léhon
La Tapisserie de Bayeux, réalisée vers 1070–1080, montre un épisode marquant : la remise des clefs de la motte de Léhon par Olivier de Dinan à Guillaume le Conquérant.
C’est la seule source contemporaine de cet événement ; aucune charte n’y fait allusion. Certains historiens y voient une mise en scène commandée par Odon de Bayeux, frère du duc.
Quoi qu’il en soit, ce tableau rappelle que le premier siège seigneurial des Dinan n’était pas à Dinan même, mais bien à Léhon, motte de bois, puis probablement de pierre.
Le “Chasteau Gane”
Un indice précieux nous vient de la toponymie : l’éperon rocheux dominant la Rance a longtemps porté le nom de Chasteau Gane, en souvenir de Gana (ou Agnorie) de Penthièvre, épouse d’Olivier Iᵉʳ de Dinan.
Olivier, né vers 1030, s’unit à Gana vers 1050. C’est probablement dans la décennie 1050–1060 qu’il fit édifier une première fortification sur ce promontoire — un château de bois, peut-être rapidement renforcé de pierre.
Cet indice est renforcé par la charte de fondation du prieuré du Pont à Dinan (vers 1080–1100), qui évoque des terres situées sub castro Dinanni, “sous la place-forte de Dinan”. À cette date, la ville n’a pas encore de remparts (ils ne viendront qu’au XIIIᵉ siècle) : il ne peut donc s’agir que d’un château distinct, sur l’éperon.
Entre Léhon et Dinan : la question des deux châteaux
Pourquoi, dès lors, bâtir deux forteresses à si peu de distance — Léhon et Dinan, séparés d’à peine une demi-lieue ?
Cette question demeure ouverte. Peut-être faut-il comprendre que Léhon resta le siège militaire principal jusqu’au milieu du XIIᵉ siècle, et que l’édifice de Dinan, plus symbolique, marquait l’affirmation seigneuriale sur l’éperon.
Les chroniques rapportent qu’Haimon II d’Alet prit la “place-forte de Dinan”, mais il s’agissait encore de Léhon.
Le premier véritable château de pierre, qu’il soit à Léhon ou déjà transféré sur l’éperon de Dinan, aurait été détruit lors des campagnes d’Henri II Plantagenêt (vers 1168). Mais sur ce point, aucune source n’est formelle : aucune trace n’atteste sa destruction, ni par guerre, ni par démantèlement volontaire.
La reconstruction par Roland de Dinan
Après la pacification du duché et la régence d’Henri II au nom de Geoffroy et Constance, un nouvel ordre s’installe. Henri II nomme Roland de Dinan, puîné d’Alain de Dinan, sénéchal de toute la Bretagne.
C’est à Roland que la tradition attribue la construction du château-fort de Dinan que nous connaissons encore aujourd’hui. Les murs visibles remontent donc à la seconde moitié du XIIᵉ siècle, avant les grands remparts du XIIIᵉ.
L’incertitude, clef de la recherche
De la motte de Léhon au château de pierre, du “Chasteau Gane” à l’actuel donjon, l’histoire de Dinan se dessine par fragments.
Nous savons qu’il y eut un château-fort avant 1100.
Nous savons que Roland éleva celui qui subsiste.
Mais entre ces deux certitudes s’étend une zone grise : aucun texte n’explique la continuité, ni ne décrit la ruine ou la destruction du premier château.
C’est dans cette incertitude assumée que réside la force de notre démarche : ne pas combler les silences de l’Histoire, mais les éclairer, pour mieux comprendre la naissance d’un lieu qui fut, dès l’origine, à la fois pierre, symbole et mémoire.

Le Mont-St-Michel et la fuite de Dol pour Redon
Ci-dessus deux des épisodes que j’ai personnellement accolé de la tapisserie.
…Guillaume de Normandie proche du Mont-Saint-Michel traversa la rivière du Couesnon (Cosnonis) et ses hommes s’enlisèrent en les sables mouvants. Ils ne durent leurs vies sauves tirés de la mort que parce que le duc Harold les retira tous du sable. Puis Guillaume et ses hommes allèrent à Dol forçant le duc Conan II de Bretagne à prendre la fuite pour trouver refuge en les murs fortifiés de Rennes…

Le château de Dinan aux Temps modernes: transformations et litiges
Le témoignage de 1807
Un dessin exécuté en 1807 par François-Agathon du Petit-Bois, publié par Charles Montécot dans La Fontaine des eaux minérales de Dinan (2012), nous restitue l’aspect du château au début du XIXᵉ siècle.
On y distingue clairement :
– le donjon, avec ses assises puissantes,
– un corps de logis antérieur, alors encore présent, mais disparu dès 1840,
– les anciens fossés secs, étroits et profonds, toujours visibles au pied du château malgré leur premier nivellement en 1745,
– le petit pont-levis réservé au passage des hommes, menant à une “cour basse” intérieure servant de lieu de réception.
Ce dessin, comme d’autres du XIXᵉ siècle, interpelle l’historien :
il montre que le fossé subsistait encore, alors que les textes rapportent son comblement et son aménagement dès le XVIIIᵉ siècle, sous Charles Duclos-Pinot (1745), pour en faire une promenade autour des remparts. La réalité fut donc plus progressive que radicale.
Les travaux et conflits du XVIᵉ siècle
Le château, tout au long de son histoire, fut l’objet de multiples travaux. En juin 1595, des démolitions ordonnées par le duc de Mercœur entraînèrent un litige entre la Fabrique de Saint-Sauveur de Dinan et l’autorité ducale.
En supprimant plusieurs maisons accolées au château, le duc privait la Fabrique des rentes qu’elle percevait sur ces biens bâtis. L’église Saint-Sauveur n’étant pas encore achevée, il fut décidé qu’une compensation annuelle de 40 sous serait versée pour permettre la poursuite des travaux de l’édifice religieux.
Trente ans plus tard, en 1624, cette rente était encore revendiquée par la Fabrique. Ce procès, bien que local, révèle beaucoup :
– l’ampleur du patrimoine foncier de la Fabrique de Saint-Sauveur, propriétaire de maisons, cours et jardins “sus lez le chasteau et la porte du Guischet”,
– l’importance stratégique de ces terrains, absorbés par les fortifications du château,
– et les tensions récurrentes entre l’autorité seigneuriale/ducale et les institutions ecclésiastiques locales.
Une mémoire foncière et spirituelle
La juridiction de la Trinité Saint-Sauveur, dotée par Charles de Blois vers 1344, couvrait ces biens qui furent progressivement absorbés par le domaine militaire. Ainsi, les maisons, jardins et colombiers “à pigeons volants” mentionnés dans les textes disparurent sous les nécessités défensives du château.
Ce faisceau d’indices montre à quel point le château de Dinan, loin d’être une forteresse figée, a été au fil du temps :
– un édifice remanié, agrandi, transformé,
– un lieu de conflits d’intérêts, de procès, d’arrangements financiers,
– et un espace de mémoire, où la pierre et la rente seigneuriale s’entremêlent.

La Porte du Guichet : entre défense et marché
La Porte du Guichet se situe au nord-ouest de l’enceinte, à proximité immédiate du château.
En conséquence, l’arrivée à Dinan, par voie de Terre, pour toute personne, ou toute marchandises provenant de la ville de Rennes, se faisait donc essentiellement ou uniquement entrait en Dinan par la dite Porte du Guichet.
Un aveu rédigé en 1420, quelques 60 années après que fut prise la décision de la construction du château, nous apprend que le château, proche du Champs sur lequel Bertrand du Guesclin lutta pour défendre l’honneur de son frère puisné, contenait une cour, ou place d’arme le séparant du même Champs
U acte plus tardif, rédigé en 1526 et retrouvé dans le Pouillé de l’église de Saint-Sauveur de Dinan, nous donne d’autres informations. Notamment le fait que la porte du Guichet, sous laquelle parvient et passe le dit grand chemin reliant Dinan et Rennes, fut reconstruit lors de l’édification du Château …ont confessé plusieurs capitaines soubz les princes qui en celly temps la capitainerie y ceulx lieu ou a este rediffié le dit chausteau et muraille et porte du Guischet et ung emplacement aioingt de celle servante a une poterne…
- Son appareil montre deux phases distinctes : une partie inférieure plus ancienne, et une rehausse dont la pierre est identique à celle du donjon.
- On peut donc penser que la porte primitive est du XIIIᵉ siècle, et qu’elle fut modifiée lors des grandes campagnes de fortification du XIVᵉ.
- À l’origine, elle ne possédait pas de pont-levis : son unique défense consistait en une herse, coulissant entre les deux arcs en ogive visibles encore aujourd’hui.
- Ce n’est que plus tard que fut ajouté un pont-levis, donnant à la porte une allure de véritable châtelet.
- L’étymologie même du mot guichet rappelle qu’il s’agissait souvent d’une petite porte intégrée dans une plus grande, permettant de filtrer les passages.
Une voie majeure
Dès son origine, cette porte n’est pas secondaire mais elle est « première » : elle ouvre la route de Rennes, la grande voie terrestre reliant Dinan à la capitale du duché
La porte de l’Hôtellerie (Brest), ouvrant et fermant au lendemain de 1488 la ville, proche de la porte du Guichet, n’était encore pas. Et donc l’unique accès pour le gros, en provenance de Rennes et de sa région, ne pouvait entrer et sortir de Dinan que par le Guichet ; le même gros, en provenance de Saint-Malo, en en partance vers celle-ci, avait sa propre porte : La Porte de Saint-Malo.
- Le Guichet est donc l’accès naturel pour les marchands et voyageurs venant de l’intérieur des terres assises à orient de la ville.
- Au plus près de lui on accédait directement au château seigneurial, ce qui explique pourquoi les sources du XVIᵉ siècle évoquent des maisons, cours et jardins situés « sus lez le chasteau et la porte du Guichet ».
Le lien avec Léhon et les foires de Dinan
La Porte du Guichet est au croisement d’une autre histoire : celle des marchés.
- Avant leur mention certaine à Dinan en 1236, les grands marchés de draps, liés aux seigneurs de Dinan, ont pu se tenir dans le voisinage de leur château de Léhon, détruit en 1168. Il sera cependant reconstruit peu après par Rolland de Dinan/Bécherel.
- Par la destruction du château de Léhon par Henri II en 1168, et malgré la reconstruction ordonnée peu après, ces foires, si foires il y eut, semble devoir se déplacer progressivement vers Dinan.
- La charte de 1236, par laquelle Gervaise, dame de Dinan et de Léhon, affecte 12 livres annuelles de la draperie de Dinan à l’abbaye de Saint-Albin, confirme que dès cette date les foires de draps se tiennent bien dans Dinan (Lire ci-dessous).
- Ce transfert d’activité commerciale marque un tournant : Dinan, ville structurée mais presque close, supplante définitivement tout autre pole économique présents proches de Dinan.
La Porte du Guichet comme interface économique
La Porte du Guichet devient ainsi la porte du commerce :
- c’est par elle que passaient les marchands venant de Rennes, ou en partance vers celle-ci,
- c’est dans ce secteur que la Fabrique de Saint-Sauveur possédait maisons, jardins et colombiers à rente, intégrés à sa juridiction de la Trinité Saint-Sauveur.
Un espace de litiges et de mémoire – Fermeture et réouverture
Sous la Ligue, pour renforcer la défense de Dinan, la Porte du Guichet fut condamnée sur ordre du duc de Mercœur, vers 1593. la Fabrique de Saint-Sauveur rédigeant pour 1594-1596 nous révélera qu’elle était déjà bouchée en 1595 ; aussi, et afin d’éviter le détour par la Porte de L’hostellerie, on édifia alors une nouvelle ouverture, l’actuelle Porte Saint-Louis, en 1620.
La Porte du Guichet ne fut réouverte que beaucoup plus tard, après avoir longtemps perdu son rôle de passage.

La Porte Saint-Louis : héritière du Guichet
Lorsque le duc de Mercœur, en pleine guerre de la Ligue, fit murer pour un plan défensif la Porte du Guichet, vers 1593, il priva les Dinannais de l’un de leurs accès les plus pratiques.
La fermeture, motivée par la défense militaire, obligeait alors les habitants à un détour par la Porte de Brest.
En 1620, la communauté urbaine obtint qu’une nouvelle ouverture soit percée dans l’enceinte : c’est la naissance de l’actuelle Porte Saint-Louis.
La porte de fait fut voulu dès 1613 puis cette même année Louis XIII confirmait et continuait de prélever tout un pan de recettes aux commerces dinannais pour la réalisation d’une nouvelle porte. Le prélèvement exceptionnel sur leurs recettes perdurera pendant 6 années ; il sera appliqué ainsi tant sur chaque pot de vin, de cidre, de bière et tout autre breuvage tant en ville que dans ses faubourgs. Seront aussi soumis à taxation chaque pièce de drap, la charge du cheval ou la charretée de marchandises.
- Cette porte, dotée à l’origine d’un pont-levis, s’ouvrait vers la route de Rennes et remplaçait directement la fonction perdue du Guichet.
- Son édification s’inscrit dans le contexte de la pacification post-Ligue : la ville retrouve un passage essentiel, mais désormais contrôlé et mieux adapté aux besoins de circulation de l’époque moderne.
La Porte Saint-Louis apparaît ainsi comme la porte de substitution : elle répond à un manque exprimé par les habitants eux-mêmes, et marque le passage d’une logique défensive de guerre civile (Mercœur, 1593) à une logique d’urbanité et de commodité retrouvée (1620).
Un dessin de Peter Hawke, artiste anglais passé par Dinan dans les années 1830, est une pièce rare : il nous montre le château de Dinan avec la Porte du Guichet encore murée. Et pour cause sa réouverte aura lieu qu’en 1932.
Quelques points clés que nous pouvons en tirer pour notre chapitre :
- Aspect visuel : on distingue nettement la maçonnerie bouchant la porte, confirmant que le Guichet resta condamné jusqu’au XIXᵉ siècle.
- Contexte historique : la Révolution française de 1830 a marqué un regain d’intérêt pour les monuments historiques et pittoresques. Les artistes anglais, nombreux à séjourner en Bretagne, ont laissé de précieux témoignages graphiques.
- Lien avec l’église Saint-Malo : Hawke a aussi contribué aux vitraux, ce qui relie encore une fois château et vie paroissiale de Dinan.
- Mémoire patrimoniale : ce dessin prouve que, même au XIXᵉ siècle, le château était perçu comme une ruine emblématique, et que la fermeture du Guichet restait visible aux yeux des voyageurs.

Dessin de Peter Hawke.
Peintre anglais né en 1801. Peu de temps après la Révolution française de 1830 il vint à Dinan ville en laquelle il fera quelques travaux, notamment des travaux préparatifs pour la réalisation de certains vitraux de l’église Saint-Malo de Dinan.
Ayant émigré aux Etats-Unis d’Amérique, puis en Espagne, il décédera à Tunis en 1887 à l’âge de 86 ans.
Charte de Gervaise de 1236 :
Pour tous les fidèles du Christ à qui cette présente lettre parviendra, Gervaise seigneur de Dinan salut en le Seigneur. Sachez que moi dans mon veuvage, après ma mort et pour la bonne mémoire de Richard Marechal autrefois mon mari, pour le salut de mon âme et pour le salut de mes parents et mes héritiers donne, et confirme en pure et éternelle aumosnes à l’abbaye de Saint-Albin de l’Ordre des Cisterciens, diocèse de Saint-Brieuc, les moyens d’existence et de vêtement pour un moine qui honorera la bienheureuse Vierge-Marie en la même abbaye pour moi et pour mes héritiers, et leur affecter chaque année la réception de 12 livres de loyer annuel en les draps de Dinan sur mes premiers revenus, libres, pacifiques et tranquilles. Et en plus douze livres acquittées dans les foires de Dinan par les marchands d’argent pour la punition, ces douze livres que mes superviseurs rendront à la dite abbaye sans opposition. Et que cette charte soit ratifiée et incontestablement poursuivie dans l’avenir, cette lettre scellée de mon sceau, et pour une plus grande confirmation Geoffroy évesque de Saint-Malo à ma demande sur cette lettre a apposé son propre sceau en témoignage et protection etc. Acté donné en l’année de Grâce 1236 en mars après la fête de Saint-Thomas l’apôtre.
Richard le Marechal seigneur de Longueville, puis de Dinan prendra pour épouse Gervaise de Dinan. Richal le Marechal et Gervaise feront tous deux une nouvelle donation mais à l’abbaye de Savigny cette fois ; Il s’agit peut-être ici de ses deux premiers veuvages Richard ayant été son troisième mari.
Richard semble devoir mourir en Irlande en l’année 1234 ; Il sera l’époux de Gervaise dès l’année 1224 puisque en cette même année 1224 il fera à l’abbaye de Beaulieu une donation en tant que « seigneur de Dinan ».
Richard était l’un des cinq fils de Guillaume comte de Pembroc en son vivant « grand maréchal » d’Angleterre; de son vivant Richard sera lui aussi seigneur de Longueville, comte de Pembroc et maréchal d’Angleterre.
Gervaise de Dinan avait successivement épousé Juhel baron de Mayenne puis Geoffroy vicomte de Rohan. Elle épousera en troisième noce Richard le Marechal seigneur de Longueville en Normandie.
Guillaume de Pembroc, père de ce celui-ci, lequel de son vivant sera considéré comme étant le meilleur cavalier du monde, sera choisi pour être le tuteur de Henry d’Angleterre dit le Jeune pendant sa minorité celui-ci étant l’un des fils légitime d’Henry II ; Guillaume épousera Isabelle de Clare fille de Richard comte de Pembroke ou de Pembroc et de Buckingham.
Agé de 68 ans William le Marechal sera au côté de William III de Lanvallei lorsque sera signée la Magna Carta en l’année 1215; il meurt quatre ans après, en 1219 ayant été aussi régent d’Angleterre en 1217.
Le « gisant » de William de Pembroke est toujours aujourd’hui visible en l’église du temple à Londres.

La guerre de Succession et la naissance du château de Dinan
L’histoire du château de Dinan ne s’écrit pas seulement avec des pierres : elle plonge ses racines dans les guerres, les lignages et les grandes rivalités qui traversèrent la Bretagne aux XIIIᵉ et XIVᵉ siècles.
Des Pembroke à Dinan : l’héritage Plantagenêt
Au début du XIIIᵉ siècle, Richard le Maréchal, fils du célèbre Guillaume de Pembroke, comte et grand maréchal d’Angleterre — compagnon de la Magna Carta de 1215 — épouse Gervaise de Dinan, dame de Léhon, de Bécherel et de Dinan. À travers elle, l’héritage anglais et breton se mêle : Richard devient seigneur de Dinan et, dès 1224, il se désigne comme tel dans ses donations.
Ces alliances illustrent déjà l’entrelacement des familles bretonnes et anglo-normandes : une trame qui ne cessera d’influer sur Dinan et son château.
Olivier de Clisson et Jean le Roux
Au milieu du siècle, Olivier Ier de Clisson s’oppose au duc Jean Ier le Roux, fils de Pierre Mauclerc. Le duc entre en conflit avec l’évêché de Nantes et finit excommunié. Les tensions avec l’Église, puis avec ses propres vassaux, provoquent des soulèvements : Dinan est incendiée, sans que l’on sache si la ville fut entièrement détruite ou partiellement. Déjà, la cité apparaît comme un enjeu stratégique et symbolique.
La guerre de Succession de Bretagne (1341-1364)
À la mort de Jean III de Bretagne, la couronne ducale est disputée entre Charles de Blois, soutenu par la France, et Jean de Montfort, soutenu par l’Angleterre. La duchesse Jeanne de Flandre, épouse de Jean III, prend les armes et défend héroïquement la cause montfortiste.
Pendant vingt-trois ans, la Bretagne est ravagée par une guerre civile, doublée d’un conflit international. Dinan change plusieurs fois de mains, subit sièges et violences.
La guerre s’achève à Auray en 1364 : Charles de Blois y trouve la mort, et le traité de Guérande (1365) reconnaît Jean IV de Montfort comme seul duc de Bretagne. Marié d’abord à Marie d’Angleterre, fille d’Édouard III, puis à Jeanne de Hollande, Jean IV reste durablement lié au royaume anglais.
Jean IV entre deux couronnes
Le duc s’appuie sur ses alliances anglaises, au risque d’irriter ses vassaux et le roi de France. Certaines forteresses, comme Brest, sont confiées à des capitaines anglais. Cette dépendance provoque la colère de la noblesse bretonne et de la couronne française.
En 1378, Charles V de France tente d’annexer la Bretagne en l’absence de Jean IV réfugié outre-Manche. Les grands seigneurs bretons — Rohan, Laval, Beaumanoir, Dinan — se révoltent contre ce projet jugé contre-nature.
Le retour triomphal de 1379
Le 22 juillet 1379, Jean IV embarque à Southampton avec le soutien militaire du roi d’Angleterre : 2000 hommes d’armes et 2000 archers. Débarqué à Saint-Malo, il est rejoint par ses capitaines bretons et le vicomte de Dinan. Le 6 août, il entre dans Dinan et loge chez les Frères prêcheurs ; le 20 août, il franchit triomphalement les murs de Rennes.
Le 5 mars 1380, il revient devant Dinan et, lors d’un conseil, décide d’édifier un château fort, symbole de son autorité retrouvée et de sa volonté de surveiller une cité frondeuse.
La construction du château
Les travaux sont lancés en 1382. Ils s’appuient sur des propriétés confisquées et peut-être sur une demeure déjà ducale. Le chantier se poursuit malgré la mort de Jeanne de Hollande en 1384. Jean IV se remarie en 1386 avec Jeanne de Navarre, fille de Charles le Mauvais et de Jeanne de France, qui donnera neuf enfants au duc, dont le futur Arthur III.
Jean IV meurt en 1399 ; Jeanne de Navarre épouse ensuite Henri IV d’Angleterre. Les alliances franco-anglaises, les mariages et les fidélités contradictoires ont donc profondément marqué la naissance du château.
Un château tourné vers la ville
Édifié hors les murs, en bordure du grand chemin de Rennes, le château de Dinan est conçu autant pour protéger que pour contrôler. Ses défenses sont orientées vers la cité elle-même, afin de rappeler aux Dinannais la présence ducale.
Le Champ, place d’armes accolée au château, servira à la fois de terrain militaire et d’espace symbolique : joutes, cérémonies, manifestations de la puissance seigneuriale.
Ainsi, le château de Dinan naît d’un siècle de luttes — entre France et Angleterre, entre Clisson et Montfort, entre duchesse de fer et roi étranger. Chaque pierre en porte l’écho.

Réalisation personnelle.
Du bastion ducal à la ville moderne : le château dans son espace urbain
1778 : la ville close
Le plan de 1778 montre Dinan encore largement enfermée dans son enceinte médiévale.
- On distingue les grands enclos conventuels (Jacobins, Dominicains, Clarisses) et les vastes jardins.
- Le Champ, au pied du château, reste un espace stratégique, lié aux usages militaires et cérémoniels.
- Les rues médiévales serpentent encore, resserrées autour de Saint-Sauveur et des couvents.
C’est une ville héritée du Moyen Âge, où le château domine un espace encore marqué par les structures anciennes.
1844 : la percée moderne
- Le plan napoléonien de 1844 révèle une mutation profonde.
- La Route royale n° 176, percée en 1781, relie désormais directement le port, le château et la ville haute. Elle coupe l’ancien tissu médiéval et ouvre la cité vers Rennes.
- Les lieux changent de nom : apparaissent « La Victoire », « Les Jacobins », « La Redoute ». La mémoire des guerres et des révolutions se grave dans la toponymie.
- Les faubourgs se densifient, les espaces conventuels sont remodelés, les enclos transformés.
- Dinan est désormais une ville moderne, intégrée dans les réseaux routiers et administratifs du XIXᵉ siècle.
Un château au cœur du temps
De bastion ducal bâti contre la ville à la fin du XIVᵉ siècle, le château devient au XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles un point de convergence urbaine.
Les plans de 1778 et 1844 révèlent cette continuité :
- d’abord forteresse tournée vers la ville frondeuse,
- puis pivot d’une cité ouverte, traversée par les routes royales et marquée par la modernité.
- Ces cartes témoignent que le château de Dinan n’est pas seulement un monument de pierre : il est un organisateur de l’espace urbain à travers les siècles, un repère fixe autour duquel la ville se redessine.

Le château de Dinan aux Temps modernes : transformations et litiges
Les travaux et conflits du XVIᵉ siècle
Le château, tout au long de son histoire, fut l’objet de multiples travaux. En juin 1595, des démolitions ordonnées par le duc de Mercœur entraînèrent un litige entre la Fabrique de Saint-Sauveur de Dinan et l’autorité ducale.
En supprimant plusieurs maisons accolées au château, le duc privait la Fabrique des rentes qu’elle percevait sur ces biens bâtis. L’église Saint-Sauveur n’étant pas encore achevée, il fut décidé qu’une compensation annuelle de 40 sous serait versée pour permettre la poursuite des travaux de l’édifice religieux.
Trente ans plus tard, en 1624, cette rente était encore revendiquée par la Fabrique. Ce procès, bien que local, révèle beaucoup :
– l’ampleur du patrimoine foncier de la Fabrique de Saint-Sauveur, propriétaire de maisons, cours et jardins “sus lez le chasteau et la porte du Guichet”,
– l’importance stratégique de ces terrains, absorbés par les fortifications du château,
– et les tensions récurrentes entre l’autorité seigneuriale/ducale et les institutions ecclésiastiques locales.
Une mémoire foncière et spirituelle
La juridiction de la Trinité Saint-Sauveur, dotée par Charles de Blois vers 1344, couvrait ces biens qui furent progressivement absorbés par le domaine militaire. Ainsi, les maisons, jardins et colombiers “à pigeons volants” mentionnés dans les textes disparurent sous les nécessités défensives du château.
Ce faisceau d’indices montre à quel point le château de Dinan, loin d’être une forteresse figée, a été au fil du temps :
– un édifice remanié, agrandi, transformé,
– un lieu de conflits d’intérêts, de procès, d’arrangements financiers,
– et un espace de mémoire, où la pierre et la rente seigneuriale s’entremêlent.

Les fondations ducales du château : voies, aveux et expropriations
Jusqu’au XVIIIᵉ siècle, l’arrivée à Dinan par voie terrestre était strictement réglée par quatre axes principaux qui déterminèrent autant la topographie que la politique locale.
La première voie, la rue du Jerzual, descendait de la ville haute jusqu’à la Rance et assurait l’accès principal au port. Elle divisait la cité en deux paroisses — Saint-Sauveur et Saint-Malo — et servait surtout au trafic fluvial : marchandises, embarquements et foires. La pente, raide et difficile, limitait son usage aux chargements légers et aux desservies précises (léproserie, prieuré).
Avant le XVIᵉ siècle, cette voie ne permettait pas de rejoindre directement l’axe vers Rennes : la percée orientale (rue de la Madeleine / « cheminneuf ») n’apparaîtra qu’au XVIᵉ siècle.
Et la grande percée reliant port et château ne sera ouverte qu’en 1781.
De l’autre côté du pont seul existait le chemin menant aux Croix de Coëtquen, nommé plus tard la rue de la Baille/Abbaye. Il avait alors un aspect entièrement différent de celui que nous lui connaissons aujourd’hui. Il lui était impossible d’amener au port, ou de faire sortir de celui-ci tous gros produits.
Elle était à l’image du Jerzual.
Pour le « gros » avant la réalisation du cheminneuf à la Magdeleine, voie réalisée au milieu du XVI siècle, l’entrée en les murs de Dinan, ainsi que pour la sortie de tous gros produits, semble devoir se faire en amont du pont, aux ports Josselin/Providence, les produits arrivant soit par Taden via la porte de Saint-Malo, soit par le plateau cotissois via le Guichet.
La seconde voie était celle qui franchissait la Porte du Guichet, au plus près du château. Ce passage conduisait la circulation terrestre vers le pont de Léhon et la rive opposée de la Rance. C’était l’itinéraire naturel pour quiconque arrivait de Rennes ou de l’intérieur des terres. Dès la fin du XIVᵉ siècle, tourné vers Rennes, le Guichet se trouve au cœur d’un dispositif de contrôle : son alignement avec le château et le Champ fait de lui le seuil à la fois commercial et politique de la cité.
La fin du XV, en 1488, doublera le Guichet par la réalisation de la Porte de l’Hoslellerie celle-ci donnant ainsi naissance à un bourg neuf. La rue qui demain allait s’appeler « la rue de Chateaubriant été née.
La troisième voie était celle qui s’en allait vers Saint-Malo. La quatrième, depuis la nouvelle porte de l’Hostellerie, s’en allait aussi sur Lambale via le faubourg des Rouairies.
Ces réalités topographiques expliquent pourquoi, lorsqu’il s’agit d’édifier une forteresse capable de marquer l’autorité ducale, Jean IV choisit d’agir à l’emplacement même qui commande la jonction entre les voies et la place d’armes. Le château n’est pas seulement une tour sur un rocher : il s’insère dans un paysage routier et paroissial, et c’est ce maillage qui rend sa construction politique et stratégique.
Seulement la partie défensive de ce château sera tournée vers Dinan lui même. La crainte de Jehan naissant surtout de la peur du peuple dinannais.
Les documents s’en font l’écho :
- Un aveu de 1420 (cité par Monier) précise que le château, ses portes, son colombier et la « belle » (la cour fermée, place d’armes) jouxtent le Champ : le rapport spatial entre forteresse et place publique est donc bien établi dès la génération suivant la construction.
- Un acte du Pouillé de Saint-Sauveur (1526) confirme que la Porte du Guichet, par laquelle passe le grand chemin reliant Dinan à Rennes, fut « refaite » lors de l’édification du château — preuve que la nouvelle fortification a remodelé l’accès et forcé des travaux topographiques précis.
- Surtout, la charte de 1382 (mandat ducal relaté après la décision de 1380) constitue l’acte fondateur : Jean, duc de Bretagne, donne pleins pouvoirs à ses commissaires pour exproprier, mesurer et déloger maisons et héritages « nécessaires à l’augmentation et édifice de nostre maison » dans la ville de Dinan.

Charte d’expropriation pour l’édification du château (Vannes, 3 novembre 1382)
Texte (orthographe d’époque), d’après M. E. Monier, Dinan, mille ans d’Histoire :
A touz ceulx qui ces presentes lectres verront et orront. Patry sire de Chasteau-Giron chevalier commissaire quant ad ce de très puissant nostre souverain seigneur le duc, salut, certifie que jay veu les lectres et commission de mondit seigneur contenant la forme qui suyt :
Jehan duc de Bretaigne, compte de Montfort et de Richemont a nostre bien ame et feal Patry de Chasteau-Giron garde de nostre ville de Dynan salut : Comme soit chose utille et necessaire que pour l’augmantacion et edifice de nostre meson que nous avons ordonne en commencer puix naguyeres en nostre dite ville que aucunes places et mesons à aucuns de soz subguetz appartenants ils soint mises et emploieez, lesquelles ne voullons que ilz soint mises se n’est pas en desdomageant ceulx a qui elles sont ainsi comme par l’avisement de nous et de nostre conseil sur ce garde et delibere que ce doibt estre, pour ce vous mandons et commandons nommer si mestier est que vous appeliez nostre procureur de nostre dite ville et Estienne le Turc maistre de notre dite oeuvre et aultres que vous verres qui devront estre appelez, vous faictes les dictes choses prises tant en fond que édifices de présent et aussi tant par meuble que par heritaige par vous choissizans gens dignes de foy, maistres charpentiers et aultres loyaux gens en ce eux cognoessans et dudit prisaige tout ce que vous en ferez nous faites voir bon sougz sceau et authorité ou dessusdit ou soubz authorité ou aultres affin que nous en ordonnions en la maniere et comme dessus et dict et de ce faire avecques toutes les choses et chascunes ad ce necessaires et leurs dependances vous avons donne et donnons plain povoir et mandement espret, mandons et commandons a touz et chascuns nos subjetcz en ce faisant vous obeir et diligemment entendre.
Donne en nostre ville de Vennes le III jour de novembre l’an mil IIIC quatre vingt deux. Ainsi signe par le duc de son commandement. R. Roll.
Paraphrase en français courant :
Le duc Jean IV ordonne la construction de sa « maison » (château) à Dinan. Pour en permettre l’augmentation et l’édification, des maisons et terrains privés doivent être pris et employés, avec indemnisation. Il mandate Patry de Château-Giron, en présence du procureur de la ville et de Maître Estienne le Turc, « maître de l’œuvre », pour procéder aux relevés, estimations (prisaige) et prises, en s’entourant de maîtres charpentiers et d’« autres gens loyaux » compétents. Les actes devront lui être rapportés sous bon sceau afin qu’il ordonne la suite. Pleins pouvoirs sont donnés, et tous sujets sont enjoints d’obéir. Acte passé à Vannes, le 3 novembre 1382.
Conséquence documentaire :
La décision politique (mars 1380) suivie de la procédure d’expropriation (1382) installe juridiquement le château au cœur de Dinan et recompose l’espace entre Porte du Guichet, Champ et voies majeures. Elle fixe, dans le droit, le rapport nouveau entre pouvoir ducal et ville.

Le château de Dinan, de forteresse à prison
Le château de Dinan, voulu à la fin du XIVᵉ siècle comme un symbole du pouvoir ducal face aux grands du royaume de France, perd peu à peu sa fonction militaire à mesure que les siècles passent.
Dès le XVIᵉ siècle, les sources laissent entrevoir un nouvel usage : ses murs épais et son donjon isolé servent de lieu de détention pour la juridiction seigneuriale. À la fin des guerres de la Ligue, après 1593, le château cesse d’être un bastion stratégique. La ville close est désormais défendue par ses remparts, et la forteresse devient surtout un espace de garde et de contrainte.
Au XVIIᵉ siècle, l’appellation de « prisons du château » apparaît régulièrement dans les textes. Les geôles s’installent dans le donjon et les annexes, mêlant prison civile et militaire. Les registres judiciaires consignent des écrous, parfois pour des affaires criminelles locales, parfois pour des motifs politiques.
Ainsi, un aveu de 1665 évoque déjà « les prisons assises en la tour du chastel de Dinan », preuve que l’usage carcéral était alors institutionnalisé.
Au XVIIIᵉ siècle, la fonction carcérale s’affermit. Les descriptions évoquent des détenus enfermés dans des conditions difficiles, à l’intérieur d’un bâtiment déjà ancien et peu adapté. On lit par exemple dans un mémoire du 5 mars 1766 que « les prisons de Dinan, établies dans la tour du château, sont obscures, humides et dangereuses pour la santé des détenus ».
La Révolution ne change pas cet usage : le château devient prison départementale, utilisée tout au long du XIXᵉ siècle. Les registres de 1830 mentionnent régulièrement des prisonniers civils « écroués au château ».
Mémoire du logis : le cas de Pierre Blondeau
Le château de Dinan, devenu prison, enferma aussi un homme dont le nom traverse ma propre histoire : Pierre Blondeau, marchand de drap de soie à Dinan, héritier d’une lignée de soyeux depuis plusieurs générations.
Avec sa sœur, il possédait le manoir de la Cour de Bretagne, à la Madeleine, au Pont à Dinan — logis de ma propre famille — ainsi que des terres assises en Tegrit.
Au milieu du XVIIIᵉ siècle, Pierre Blondeau se trouva pris dans un litige avec la dame de Porto Corvo, à qui il devait d’importantes sommes. Accablé par les dettes, il fut conduit dans la prison du château de Dinan.
Les archives rapportent qu’il dut solliciter une permission de sortie exceptionnelle de ses geôles afin de comparaître en justice pour défendre sa cause. Mais il ne put éviter la vente de ses biens de Tegrit afin d’honorer sa dette.
Ainsi, derrière les pierres du donjon, ce n’est pas seulement l’Histoire de Bretagne qui se jouait : c’est aussi l’histoire d’un logis, d’une famille, d’un nom.
Chaque document garde en lui une trace vive : la dignité d’un marchand de soie, enfermé dans la tour-prison, qui fut l’un des miens.
En 1908, la prison est officiellement fermée. Le château, vidé de ses prisonniers, entre dans une nouvelle histoire : celle d’un monument patrimonial, classé et peu à peu restauré, où l’on ne retient plus des hommes mais seulement la mémoire des siècles.
Jean-Pierre Fournier Moy.