
Pourquoi les terres de Blagrave et de Ludlow aujourd’hui ?
Les seigneuries de Ludlow et de Lambourn sont, en vérité, totalement indissociables. Lambourn comprend en effet la terre de Blagrave, tout comme les seigneurs de Dinan et ceux de Lanvalei ne peuvent être séparés.
Raoul Ier de Lanvalei fut-il « vassal » de Josce de Dinan pour ses propres terres assises dans la seigneurie de Lambourn ? La question se pose, car Josce de Dinan détenait alors le château, maître des lieux qu’il était devenu au lendemain de la perte de sa forteresse de Ludlow.
Plus tard, William II de Lanvalei, neveu de Raoul Ier et frère de Raoul II, possédera avec ce dernier une terre relevant de Sybille de Dinan, fille de Josce. Sybille partageait ce bien avec Raoul de Beauchamp. Pour cette même terre, tous quatre se trouvaient donc redevables d’une taxe divisée en quarts : Raoul II et William II de Lanvalei, ensemble, acquittaient la moitié de la charge, tandis que Sybille de Dinan et Raoul de Beauchamp en supportaient l’autre moitié.
Lors de l’enregistrement du décès de Josce de Dinan, William II de Lanvalei lui-même fut présent aux côtés des deux filles du défunt et de leurs époux respectifs :
Willelmus Effubli, 1 libratas terrae in hundredo de Westbiria, per j feodum, de quo Radulfus de Bello Campo et Hawis de Dynant faciunt dimidium feodum, et Radulfus de Lanvalei et William de Lanvaley quarta…
Ainsi en est-il souvent : tout se tient, tout demeure lié. On ne peut traiter un sujet sans en ouvrir un autre, tant les lignages et les terres s’imbriquent et se répondent.
Fin de l’avant-propos.

Peinture d’Edouard Seago
Blagrave
Cette très ancienne terre seigneuriale, baignée par la rivière du même nom, le Blagrave, est citée dès 1086. Elle se situe à Eastbury, dans la paroisse de Lambourn, au cœur du comté du Berkshire, tout proche de Londres, à l’ouest de la grande capitale.
Le vaste fief de Lambourn, comprenant manoir et paroisse, appartenait avant 1155 à Josselin de Dinan (que les textes nomment aussi Josce de Dinham ou Jeuce de Dinan), fils de Geoffroy Ier, seigneur de Dinan. Lors de la fondation du prieuré du Pont à Dinan, vers 1100, Josce n’apparaît pas encore : il semble être né au lendemain de cette date, vers 1100-1110, et mourut en 1166, laissant un acte successoral et deux filles héritières.
Seigneur et gouverneur, il possédait aussi le château de Ludlow, qui, vers 1140, relevait de son autorité première. Son manoir de Lambourn, à lui seul, lui rapportait déjà un revenu annuel considérable de soixante-seize livres.
Aujourd’hui encore, Lambourn demeure une paroisse, où l’on retrouve les terres de Wike et de Blagrave, toutes deux urbanisées certes, mais qui étaient, dès 1164, des fiefs seigneuriaux relevant de Raoul Ier de Lanvalei. Celui-ci, né vers 1130, fut leur seigneur. Le manoir de Lambourn, en revanche, a depuis longtemps disparu.

Dressé sur son promontoire, le château de Ludlow domine encore les marches galloises. Ses murailles, rongées par le temps, semblent pourtant pleines de voix : elles gardent l’écho d’un passé où la Bretagne et l’Angleterre se sont enlacées dans la vie d’un seul homme, Josce de Dinan.
Lorsque Étienne et Mathilde s’affrontèrent pour la couronne, Ludlow devint un enjeu de pouvoir. Josce, cadet de Dinan, y entra par mariage avec Sybille de Lacy, et dans ses tours il fut seigneur autant que prisonnier de l’histoire. Assiégé, trahi, dépossédé, il y grava pourtant la marque de son lignage. Car de Ludlow partirent les terres de Lambourn et de Blagrave, les mariages de ses filles Hawise et Sybille, les filiations qui tissèrent plus tard les Walens, les Plukenet, les Fitzwarin — jusqu’à l’écho lointain de la légende de Robin Wood.
Ludlow n’est donc pas seulement une ruine majestueuse : c’est le berceau d’une mémoire. Ici se joua la destinée d’un Breton sans héritage paternel, qui sut pourtant bâtir un destin anglais. Ici s’ancra la pierre première qui, transmise de génération en génération, mènera jusqu’à Nutwell et Hartland, jusqu’au vitrail de verre coloré où les Dinham se prient encore.
Dans la vaste enceinte, où l’herbe recouvre les cours et les fossés, il reste cette certitude : Ludlow, en son silence, continue d’appartenir à la maison de Dinan. Non plus par le droit des armes, mais par le droit de la mémoire.
Le castel de Ludlow
Ce château défensif, situé à l’ouest de Birmingham, fut d’une importance stratégique capitale dès les premières heures du XIIᵉ siècle. Dans son immensité, il se dresse encore aujourd’hui sur l’ancienne grande marche du Pays de Galles.
À la mort du roi Henri Ier, en 1135, une guerre de succession éclata entre Mathilde, sa fille, seule héritière légitime du royaume, et son cousin Étienne de Blois, neveu du défunt roi, qui se fit proclamer indûment roi par ses propres hommes liges.
En ces heures troublées, le château de Ludlow était tenu par Pain fitzJohn. Fidèle à Étienne, il le soutint jusqu’en 1137, année où il trouva la mort dans une embuscade. Vingt ans auparavant, en 1115, Pain avait épousé une très riche héritière de la région : Sybille de Lacy, qui lui avait apporté en dot le castel de Ludlow, transmis par son parent Roger de Lacy, ainsi que d’autres terres situées dans le Gloucestershire, le Herefordshire et le Worcestershire.
C’est alors qu’apparaît Josce de Dinan, âgé d’environ trente à trente-cinq ans, encore non marié, qui choisit de prendre parti lui aussi pour le nouveau roi fraîchement couronné. Il participa donc activement à ce conflit successoral.
Veuve dès avant 1137, Sybille de Lacy mena, depuis les hautes murailles de son castel, une lutte acharnée contre Étienne de Blois, à l’inverse de son défunt époux. Mais son château fut pris par les hommes d’armes d’Étienne. Avant 1148, ce dernier décida alors de confier la défense de la marche galloise à Josce de Dinan lui-même, qu’il plaça à la tête de ce château fraîchement conquis.
La succession de Geoffroy Ier de Dinan
Lorsque survient l’épisode de Ludlow, Geoffroy Ier de Dinan, père de Josce, n’est déjà plus de ce monde. Présent encore en Angleterre au lendemain du couronnement d’Henri Ier, il disparaît des chartes après 1123 et s’éteint en ses terres natales de Dinan.
Sa grande seigneurie se trouve alors partagée en deux parts égales : Dinan-Nord pour Olivier II, son fils aîné, et Dinan-Sud pour Alain, son puîné. Quant à Josce, encore jeune homme, il se trouve en Angleterre après 1123, sans paraître concerné directement par ce partage.
Olivier II semble en effet être le seul à prendre possession des fiefs de son père en Angleterre ; ses deux autres frères, Alain et Rolland, n’y recevant rien. La descendance anglaise d’Olivier II, à travers ses fils Olivier III et Geoffroy II, fit souche en ces terres, notamment autour des deux manoirs de Nutwell et de Hartford. Ces domaines avaient jadis été concédés au grand monastère de Tours par Geoffroy Ier lui-même, qui, en 1122, avait accompli ses deux dernières donations religieuses.

Les manoirs de Nutwell et de Harpford
Les manoirs de Nutwell (Notwell, Notuella) et de Harpford (Helpefort), situés dans le Devon, bien plus au sud, à près de cent quatre-vingts kilomètres de Ludlow, furent offerts en 1122 à l’abbaye de Marmoutier par Geoffroy Ier de Dinan, une année avant sa disparition des chartes. Ils revinrent ensuite à son fils Olivier II.
Par droit d’héritage, ces deux manoirs passèrent ensuite, en indivis, aux enfants d’Olivier II, à savoir Olivier III et son frère Geoffroy II. Vers 1160, ceux-ci firent édifier à proximité l’abbaye de Hartland, où, aux XVe et XVIe siècles, les seigneurs John de Dinham choisirent tous d’être inhumés.
Un accord intervint un peu plus tard entre Geoffroy II et son neveu Geoffroy Ier de Dinham, fils d’Olivier III. Cet arrangement laissait à la descendance de Geoffroy II toute la seigneurie de Dinan-Nord, tandis que son neveu conservait pour lui et ses héritiers les seigneuries de Hartland et de Nutwell.
De ce même Olivier III de Dinan naquit en effet Geoffroy Ier de Dinham, puis Olivier Ier de Dinham.
À la septième génération, de Geoffroy Ier descendit John de Dinham, baron d’Hartland et de Nutwell.
Ainsi prit naissance la baronnie anglaise des Dinham.

Dans la chapelle seigneuriale du château de Nutwell, la pierre et le verre se répondent. Là où les chartes se taisent, le vitrail parle encore. Au centre, agenouillé en prière, John de Dinham, héritier d’une lignée ancienne, se présente devant Dieu. Ses armes se dressent comme un écho figé des combats et des héritages, rappelant que sa maison, issue des seigneurs de Dinan, s’était enracinée ici depuis l’an 1122, quand Geoffroy 1er avait donné à Marmoutier les manoirs d’Hartland et de Nutwell.
À gauche et à droite, ses parents et alliés, figures d’une mémoire familiale. Sa mère, Joan Arches, dernière de sa lignée, apporte par son sang les domaines d’Eythrope et de Buckinghamshire, et son blason rouge aux trois arcs d’argent éclaire le verre comme une signature. Par elle, les Dinham rejoignent les hautes familles du royaume, et la lumière colorée inscrit dans la chapelle l’alliance des deux maisons.
Ce vitrail n’est pas seulement une œuvre d’art : c’est un acte de mémoire. Dans la prière des personnages agenouillés, dans les écus suspendus comme des astres, se reflète toute une histoire. Celle des Dinan passés en Angleterre, devenus Dinham, seigneurs de Nutwell et d’Hartland, figures puissantes de la gentry du Devon. Celle d’un lignage qui, du XIIᵉ au XVe siècle, n’a cessé de tenir sa place entre fidélité royale et ambitions locales.
Par le verre et la lumière, la mémoire des Dinham a traversé les siècles. Elle ne dit plus seulement les armes et les terres, mais l’étrange continuité d’un sang qui s’était d’abord levé sur les bords de la Rance avant de s’agenouiller, en ce vitrail, sur les rives du Devon.

De Ludlow à Nutwell, de la forteresse aux vitraux, s’étend tout le chemin d’une lignée.
À Ludlow, la pierre crue des batailles et des alliances imposées.
À Nutwell, la pierre adoucie du souvenir, éclairée par le verre et la lumière.
Deux visages d’une même histoire, deux témoins d’un seul fil : celui des Dinan devenus Dinham.
Olivier III de Dinan et les manoirs de Helfort et Nutwell
Pour ces deux mêmes manoirs de Helfort et de Nutwell, Olivier III de Dinan engagea de longues procédures contre les moines de Marmoutier, refusant de respecter le don que son aïeul Geoffroy Ier avait consenti en 1122. Il contraignit même les religieux à lui « relouer » ces terres, dont les dîmes leur avaient pourtant été offertes par Geoffroy Ier.
Les enjeux financiers attachés à ces domaines perdurèrent longtemps dans la lignée des seigneurs de Dinham, jusqu’à ce qu’Olivier III, fils d’Olivier II, finisse par reconnaître définitivement la donation effectuée par son aïeul.
Cette reconnaissance intervint avant 1182, par une charte non datée dans laquelle Olivier III exprima sa volonté de terminer sa vie dans une existence monastique, recluse derrière les murs de son prieuré de Saint-Malo de Dinan, alors encore inachevé.
Cette charte portait sur la donation même du prieuré de Saint-Malo de Dinan.
La confirmation définitive de la donation des manoirs de Helfort et de Nutwell fut quant à elle enregistrée en Angleterre en 1182, à la suite de la décision prise et rédigée à Dinan par Olivier III.
Josce de Dinan / Dinham, seigneur de Ludlow
Josce de Dinan, né vers 1100–1110, frère cadet d’Olivier II, d’Alain, de Rolland et de Guillaume, ne reçut rien du patrimoine paternel, ni en Bretagne ni en Angleterre.
Mais son destin prit un tournant décisif lorsqu’Étienne de Blois, roi d’Angleterre, organisa son mariage avec Sybille de Lacy, veuve de Pain FitzJohn.
Par cette union, Josce devint le nouveau seigneur de Ludlow et le gouverneur de son château. Pendant ce temps, son frère Alain de Dinan, seigneur de Dinan-Nord, dont les terres s’étendaient jusqu’à Bécherel aux portes de Rennes, combattait sur d’autres fronts militaires en Angleterre.
Le conflit successoral, né de la mort d’Henri Ier en 1135, ne s’apaisa pas : Mathilde, sa fille, contrôlait tout le sud-est du royaume, tandis qu’Étienne conservait le sud-ouest.
Fatiguée par cette guerre presque fratricide, Mathilde finit par se retirer en Normandie, confiant ses droits à son jeune fils, le futur Henri II.
Elle s’éteignit à Rouen le 10 septembre 1167, inhumée dans sa cathédrale. Un accord avait été conclu dès 1153 entre Étienne et Henri : le roi reconnaissait ce dernier comme son héritier. Étienne mourut l’année suivante, et Henri devint aussitôt roi d’Angleterre.
Durant ces luttes, vers 1150, Josce s’éloigna un temps de Ludlow pour affaires seigneuriales. Profitant de son absence, le château fut repris par Gilbert de Lacy, parent de Sybille.
À son retour, Josce tenta de l’assiéger, mais il se heurta à ses propres murailles et échoua. Mathilde le dédommagea alors en lui accordant plusieurs terres autour de Lambourn.
Dès lors, Josce bascula définitivement dans son camp. Couronné roi en 1154, Henri II confirma cette fidélité en lui offrant de vastes possessions dans le Berkshire, le Wiltshire, le Hampshire, le Devonshire et le Somerset.
Parmi elles figurait le manoir de Lambourn.
Josce, devenu un riche seigneur par ses propres faits et gestes, mourut en 1166. Il ne laissa pour héritières que ses deux filles :
- Sybille, qui épousa Hugues de Plukenet (ou de Pleugueneuc), issu de la terre de Pleugueneuc, toute proche de la paroisse de Lanvallay ;
- Hawise, qui épousa Foulque FitzWarin, père du futur outlaw, l’un des inspirateurs de la légende de « Robin Hood ».
L’héritage transmis par Josce ne semble avoir consisté qu’en sa seigneurie de Lambourn.
Que devinrent entre-temps ses autres possessions ?
L’histoire n’en a pas gardé la trace.
Mais la mémoire d’Hawise et de sa descendance se poursuivra jusque dans la légende, à travers la geste des FitzWarin, que nous évoquerons plus loin.

Ce château normand sera réaménagé par William Peverel lors de la guerre de succession ayant opposée Mathide à Etienne de Blois. Revendiqué très peu de temps après par Fulck Fitzwarin II celui-ci verra sa demande rejetée par le roi Jean; ce désaccord sera l’une des origines premières ayant amené Fulck à se rebeller contre son roi entrainant ainsi dans son sillage son propre fils, Fulck III Sa demande enfin acceptée au moyen d’une reconnaissance de vassalité elle aussi ce château restera dans cette famille seigneuriale jusqu’en 1420.
Raoul Ier de Lanvalei et les terres de Blagrave et de Wyke
Vers 1130 naquit Raoul Ier de Lanvalei. Du vivant même de Josce de Dinan, alors maître du château et de la seigneurie de Lambourn, Raoul entra en possession de deux terres situées dans ce domaine : Blagrave et Wyke, cette dernière proche d’Eastbury.
Raoul, frère de William Ier — seigneur de Walkern, gouverneur de Colchester et l’un des deux grands juges itinérants pour l’est du royaume —, fut en effet enregistré comme détenteur de ces fiefs. Blagrave et Wyke tombèrent ainsi dans son escarcelle.
Lorsque le roi Henri II d’Angleterre concéda officiellement à Raoul Ier la terre de Blagrave, celui-ci possédait déjà Wyke, et cela durant les deux dernières années de la vie de Josce de Dinan. À ce titre, Raoul Ier de Lanvalei se trouva être le vassal de Josce lui-même, par ces deux terres seigneuriales.
Ainsi, par un singulier entrelacs des destins, l’histoire des Dinan et des Lanvalei devint, pour un temps, indissociable.
La seigneurie de Lambourn : Plukenet et Fitzwarin
Sous le règne de Richard Cœur de Lion, Hugues de Plukenet, par son mariage avec Sybille de Dinham — l’une des deux héritières de Josce de Dinan —, entra, à la mort de son beau-père, en possession d’une partie de la seigneurie de Lambourn. Hugues mourut en 1201, laissant à Sybille, citée comme veuve dans un Pipe Roll du Berkshire daté de 1202, la gestion de cette part.
L’autre portion de Lambourn revint, par les droits de sa femme Hawise, à Foulque Fitzwarin, époux de la seconde fille de Josce. Là encore, les biens hérités furent donc divisés.
Le père de ce chevalier Plukenet, nommé tour à tour dans les chartes de Plugenai, Plegenet, Plogenet ou Pleugueneuc, était très probablement né sur la terre noble de Pleugueneuc, proche de Lanvalei, toutes deux assises dans le duché de Bretagne. Par son mariage, Hugues II de Pleugueneuc transmit à son tour à son fils Josce de Plukenet la part de Lambourn héritée de sa mère Sybille, fille de Josce de Dinan. Sybille était encore vivante en 1212.
La seconde moitié de Lambourn, dite « Grandisons », revint en effet par hérédité à Foulque II Fitzwarin, seigneur de Whittington, mari de Hawise. Plus tard, après ses démêlés avec le roi Jean, Foulque II dut payer à la Couronne cent livres d’impôt, et cela au seul nom de sa femme, pour recouvrer cette terre que Jean lui avait confisquée pour félonie. Avec son fils Foulque III, il devint l’un des héros du récit de l’Outlaw Fitzwarin, qui alimenta lui aussi la légende de Robin Hood.
Hawise mourut en 1198 et Foulque en 1220, laissant leur fils Foulque III hériter à son tour de Lambourn. La vie aventureuse de ce dernier inspira directement une grande partie de la geste de l’outlaw Robin Hood.
L’une des héritières de Foulque III épousa John Tregor ; elle reçut, au nom du douaire de sa mère, la parcelle dite « Grandisons », bien que celle-ci relevât encore, par droit féodal, de la seigneurie de Fitzwarin, détenue par sa sœur aînée. Ainsi, Hawise et sa descendance se trouvèrent être, paradoxalement, les sujets de leur propre lignée.
Au fil du temps, divers droits attachés à la terre de Lambourn furent successivement concédés à l’abbaye de Stanley par les seigneurs de Plukenet et de Fitzwarin.
Raoul Ier de Lanvalei et la paroisse de Little Abington
Rappelons qu’Alain filius Henri fut aussi, de son vivant, possesseur de la paroisse de Little Abington, pour cinq hides de terre, avec église, manoir, bois, bétail et hommes compris.
Au-delà de cette date, Raoul Ier de Lanvalei, à l’inverse de son frère aîné William Ier, disparaît du récit de l’Histoire d’Angleterre. Plus aucune charte n’évoque son nom. Celui de son épouse, si épouse il eut, n’est jamais mentionné, et il ne semble pas avoir eu d’enfant, puisque ses biens passèrent à son neveu, fils de William Ier.
Où Raoul s’en alla-t-il après ce dernier écho écrit ? Rejoignit-il définitivement ses terres natales de Bretagne, ou bien ses ancêtres auprès de Dieu ? L’Histoire ne le dit pas.
L’hide de terre était une ancienne mesure agraire féodale propre à l’Angleterre. Il correspondait à la surface nécessaire pour nourrir une famille pendant une année, soit, suivant la qualité des sols, entre 25 et 50 hectares. Toute terre de cinq hides devait fournir l’équipement militaire complet pour un chevalier : un homme armé pour cinq hides.
Ainsi, William II de Lanvalei et Jehan, son cousin germain, propriétaires en indivis de la paroisse de Little Abington — église comprise pour cinq hides —, devaient chacun acquitter pour moitié, chaque année, le financement d’un demi-fee, soit la charge d’entretenir en commun l’armement et le service d’un chevalier.
Blagrave à la fin du XIIᵉ siècle
Entre 1190 et 1194, la terre de Blagrave semble avoir été retirée des mains des seigneurs de Lanvalei, puisqu’on la retrouve alors entre celles de Robert de Burdon. Ce transfert eut lieu après que la terre eut été réintégrée quelque temps auparavant dans le domaine royal, peut-être à la suite d’une confiscation.
Toutefois, dès 1194, sous le règne de Richard Cœur de Lion, elle fut de nouveau restituée aux Lanvalei : William II de Lanvalei, fils de William Ier, paya cette année-là quinze marcs pour la terre de Lambourn. Peu après, Raoul II de Lanvalei, frère de William II, est également dit en possession de Blagrave. La terre était donc tenue en indivis entre les deux frères, ce qui entraîna plus tard une discorde entre eux.
Reste la question essentielle : comment cette terre, jadis bien de Raoul Ier de Lanvalei et passée ensuite entre les mains de Robert de Burdon, se retrouva-t-elle entre celles de ses deux neveux, William II et Raoul II, fils de William Ier ?
Il est possible que la terre de Blagrave ait été momentanément confisquée par la Couronne, soit pour sanctionner une félonie, soit pour défaut de service, comme cela arrivait fréquemment dans les années troublées de la fin du XIIᵉ siècle. Richard Cœur de Lion, en particulier, finança ses guerres par de lourds prélèvements et ne craignait pas de reprendre certains domaines pour les réattribuer.
Robert de Burdon apparaît alors comme un tenancier intermédiaire, installé par le roi sur cette terre durant la période de confiscation. Mais les droits héréditaires des Lanvalei sur Lambourn restaient forts, issus de Raoul Ier, et c’est sans doute pour les réclamer que William II dut payer en 1194 la somme de quinze marcs : non pas pour acquérir, mais pour racheter et confirmer ce qui lui revenait de droit.
La co-possession ultérieure de William II et de son frère Raoul II s’explique alors naturellement : Blagrave, restituée à la lignée, fut partagée en indivis entre les deux fils de William Ier.
Reste la question essentielle : comment cette terre, jadis bien de Raoul Ier de Lanvalei et passée ensuite entre les mains de Robert de Burdon, se retrouva-t-elle entre celles de ses deux neveux, William II et Raoul II, fils de William Ier ?
Hypothèse : il est probable que Blagrave ait été momentanément confisquée par la Couronne — pratique fréquente à la fin du XIIᵉ siècle — puis confiée à Robert de Burdon comme tenancier provisoire. En 1194, William II de Lanvalei dut verser quinze marcs non pour acheter, mais pour racheter et confirmer un droit héréditaire ancien. La terre, restituée à la lignée, passa alors en indivis entre William II et son frère Raoul II, expliquant la discorde ultérieure entre eux.
Le partage de Blagrave et de Wyke
Que ce soit par voie d’hérédité directe, ou bien par un accord conclu si la mort de Raoul Ier en Angleterre n’eut pas lieu, ces deux terres semblent avoir réintégré le patrimoine de William Ier.
Elles furent ensuite transmises en indivis à ses deux fils, William II et Raoul II.
Les terres de Lambourn devinrent ainsi rapidement l’objet d’un litige fraternel : William II et Raoul II s’opposèrent à propos de leur partage.
Mais la discorde trouva finalement un équilibre, puisque l’un reçut Blagrave, et l’autre Wyke, située à Eastbury.
Cette division équitable fut confirmée par la génération suivante : John de Burgh, époux de Hawise, fille de William III de Lanvalei, entra en possession de Blagrave, tandis que Maud de Lanvalei, fille héritière de Raoul II, reçut personnellement Wyke.
Raoul II, fils de William Ier et père de Maud, est en effet désigné dans les sources comme « tenant » de la seigneurie d’Eastbury pour sa terre de Wyke.

👉 Les deux terres, jadis indivises, trouvent chacune une continuité distincte dans la génération suivante.
Conclusion : Blagrave et Raoul Ier de Lanvalei
La terre de Blagrave, assise dans la paroisse de Lambourn, au Berkshire, apparaît dès 1086 comme un domaine ancien, baigné par la rivière du même nom. Elle est inséparable de la seigneurie de Lambourn, fief que Josce de Dinan, fils de Geoffroy Ier de Dinan, détenait au milieu du XIIᵉ siècle, parallèlement à son château de Ludlow.
Josce de Dinan, par son mariage avec Sybille de Lacy, hérita de Ludlow et joua un rôle de premier plan dans la guerre de succession entre Étienne de Blois et l’impératrice Mathilde. Fidèle d’abord au roi Étienne, puis rallié à Mathilde et récompensé par Henri II, il finit ses jours en 1166. De lui ne restèrent que deux filles :
– Sybille, épouse d’Hugues de Plukenet, issu de Pleugueneuc, dont la lignée se poursuivit en Angleterre ;
– Hawise, épouse de Foulque Fitzwarin, dont la descendance nourrit la geste de Robin Hood.
Par elles, Lambourn se divisa entre les Plukenet et les Fitzwarin, deux lignées qui laissèrent leur empreinte dans l’histoire des Marches et des légendes.
Parallèlement, un autre fil s’entrelace : celui des Lanvalei. Vers 1130 naquit Raoul Ier de Lanvalei, frère cadet de William Ier. Il entra en possession de Blagrave et de Wyke, terres de Lambourn, et devint ainsi le vassal de Josce de Dinan lui-même. Puis son nom s’effaça : aucune charte ne le cite plus, et son épouse, si épouse il eut, reste inconnue. L’histoire s’interrompt, laissant planer le mystère de son destin.
À la fin du XIIᵉ siècle, Blagrave connut une période de confiscation royale. Passée un temps entre les mains de Robert de Burdon, elle fut restituée en 1194 aux héritiers des Lanvalei : William II et Raoul II, fils de William Ier. Ils la tinrent d’abord en indivis, mais finirent par se partager les biens de Lambourn : Blagrave pour William II et sa descendance, Wyke pour Raoul II et la sienne.
Ainsi, Blagrave et Wyke, terres jadis unies sous Raoul Ier, se scindèrent et poursuivirent deux trajectoires distinctes :
– Blagrave, transmise à John de Burgh par son épouse Hawise, fille de William III de Lanvalei ;
– Wyke, transmise à Maud de Lanvalei, fille héritière de Raoul II.
De cette division équilibrée surgit une nouvelle étape de l’histoire. C’est à travers Maud de Lanvalei que s’ouvre désormais la suite de notre récit.


Son gisant, conservé dans l’église de Walkern (Hertfordshire), rappelle la puissance de la lignée des Lanvalei, alliée aux grandes familles du royaume et mêlée aux affaires d’Angleterre comme aux mémoires de Dinan.
De ses pierres funéraires se détache encore l’ombre des terres de Blagrave et de Lambourn, et la résonance d’une lignée qui, de génération en génération, fera courir ses fils jusqu’à Bruce d’Écosse.