Charte n°5.

✦ Quand les Villicus de Dol rencontrent les Baderon et les Lanvalei ✦
👉 Dans les chartes anciennes, un nom revient souvent : Villicus — le vicaire, le voyer de Dol. C’était une charge héréditaire, héritée du vieux monde carolingien : le villicus administrait un domaine, percevait les droits du seigneur, garantissait les chemins.
À Dol, cette fonction prit une importance particulière : elle faisait du Villicus un intermédiaire direct entre le seigneur de Dol-Combourg et les hommes du pays.
Au XIIᵉ siècle, cette fonction est incarnée par Geoffroy Villicus, que l’on retrouve en 1173 dans la révolte contre le roi Henri II.
Son fils Johannes Villicus reprend la charge : il gère les vignes de Dol et, avec ses frères et sœurs, en cède une part à l’abbaye de Vieuville.
Mais le plus fascinant est la sœur de Johannes : Dionisia Villicus.
Dionisia épouse un homme que nous connaissons déjà bien : Gervais Baderon.
Les Baderon, issus de Caradoc et liés aux seigneurs de Monmouth, tenaient terres et dîmes à Épiniac, à la Boussac, à Dol.
Gervais, frère de Guillaume « fils d’Alain » et d’Alveve, était lui-même donateur à Vieuville et témoin dans plusieurs chartes.
Par ce mariage, deux mondes se rejoignent :
– les Villicus, détenteurs d’une charge héréditaire au cœur de Dol,
– et les Baderon, grande lignée anglo-normande implantée des deux côtés de la Manche.
👉 Mais l’histoire ne s’arrête pas là.
Pourquoi ?
Parce que la sœur de Gervais, N. Baderon, avait épousé Heymeri. De cette union naquirent en effet Jehan et Alain II de Lanvalei celui-ci seigneur de Lanvallay-Tressaint.
Ces deux hommes se trouvent donc doublement insérés dans la trame :
– Par leur mère, ils appartiennent au sang des Baderon.
– Et par leur tante Dionisia, ils sont alliés aux Villicus, ces voyers de Dol.
Jehan et Alain de Lanvalei, frère d’Alvève femme de Simon le Bret seigneur de Wrangle sur la côte est de L’Angleterre, leur sœur, la dite Alvève, prit t’elle le prénom de leur propre mère ?
Ce réseau de liens éclaire la position des Lanvalei : loin d’être un rameau isolé, ils sont intriqués au cœur du pouvoir de Dol.
Leur famille se trouve à la croisée des grandes charges (Bouteillers, Voyers), des grandes seigneuries (Baderon, Aubigné, La Chapelle), et des grandes abbayes (Vieuville, Marmoutiers).
À travers Alveve et Dionisia, deux femmes longtemps oubliées, c’est toute une mémoire qui ressurgit : celle d’une paroisse, Dol, où les charges n’étaient pas seulement des titres, mais des héritages de sang et des passerelles entre lignages.
Et Lanvallay, à travers ces alliances, se retrouve au centre d’une toile où s’entremêlent la foi, la féodalité et la mémoire des femmes.


👉 Traduction :
Omnibus ad quos presens scriptum pervenerit Hasculfus de Soligneio salutem. Noverit universitas vestra quod Johannes Villicus Dolii, cum fratribus suis Hamone, Eudone, Oliverio, et duabus sororibus quas solas habebat, et uxore sua, non cum adhuc haberet heredem qui concedere liceret vel deberet, dimisit abbatie Veteris Ville bono ductus consilio decimam illam terram fideliter partem quam iure hereditario in vineis suis apud Dolum possidere videbatur, et longo tempore amissam ab ipsis acceperat, et pater illius ante eum, hanc enim retinebat contra jura privilegiorum ordinis Cisterciensis. Habuit autem de caritate monasterii taxe solidos Andegavenses, et concessit eam sicuti decimam ex prefata abbatie liberam et quietam et sine elemosinam perpetuo possidendam. Hoc non est sub silentio manendum quod si aliquo tempore ut fieri solet terra illa vineis omissis vel silvis ad culturam redigeretur, tamen monachi mihi et meis successoribus decimam possiderent. Hoc ego Hasculfus qui a predicte Vineæ ex largitate antecessorum meorum sepedicte abbatie collate fueram concedente Heldes uxore mea solvi et concessi, et etiam me custodem et tutorem conscripsi, sigilli mei auctoritate firmavi sub testibus ipsis.
👉 Traduction française
À tous ceux à qui parviendra le présent écrit, Hasculfus de Soligné adresse salut.
Sachez que Johannes Villicus de Dol, avec ses frères Hamon, Eudes, Olivier, ses deux sœurs — les seules qu’il eût — et son épouse, alors qu’il n’avait pas encore d’héritier qui pût consentir à sa place, a cédé à l’abbaye de Vieuville, mû par un bon conseil, la dîme qu’il paraissait tenir héréditairement dans ses vignes à Dol. Cette dîme, longtemps disputée, lui avait été reprise par les moines, et déjà son père l’avait retenue contre les droits et privilèges de l’ordre cistercien.
En échange, il reçut de la charité du monastère six sous angevins. Il concéda donc cette dîme aux moines de ladite abbaye, libre et franche, comme une aumône à posséder perpétuellement.
Qu’il ne soit pas tu, en outre, que si un jour, comme il arrive souvent, ces terres de vigne venaient à être laissées incultes et transformées en bois ou en terres arables, les moines conserveraient néanmoins le droit de posséder ladite dîme, moi et mes successeurs leur reconnaissant ce droit.
Moi, Hasculfus, qui tenais déjà de la libéralité de mes ancêtres des biens concédés à cette abbaye, avec l’accord de mon épouse Heldes (Yseult), j’ai consenti et confirmé cette cession. Et pour garantir cela, je me suis constitué gardien et protecteur de ce don, et j’ai affermi le tout par l’autorité de mon sceau, en présence des témoins.
👉✦ Les vignes de Dol et la main de Johannes ✦
Imaginez Dol au XIIᵉ siècle. Les coteaux portent encore des vignes, entretenues par des familles qui en tirent leur revenu… et dont les moines espèrent la dîme.
Ces vignes ne sont pas seulement des plants : elles sont un signe de richesse, de prestige, de continuité. Ce jour-là, c’est toute la fratrie des Villicus de Dol qui se rassemble :
Johannes, l’aîné, entouré de ses frères Hamon, Eudes et Olivier. Deux sœurs se tiennent là aussi, et son épouse, dont le nom reste voilé par le temps.
Ils n’ont pas d’héritier encore, mais ils savent que ce qu’ils vont décider engagera la mémoire de leur maison.
La charte dit que leur père avait retenu jadis cette dîme contre les moines, bravant les Cisterciens.
Mais Johannes, mû par un « bon conseil », se résout à céder. Pour l’abbaye de Vieuville, c’est une victoire : la dîme des vignes de Dol, confirmée et sécurisée.
Et voici la clause étonnante : même si les vignes venaient à disparaître, laissées incultes, transformées en champs de blé ou rendues à la forêt, la dîme resterait due.
C’est là une invention subtile : la dîme se détache du fruit de la vigne pour s’attacher au sol lui-même.
La terre, qu’elle porte vigne, épi ou chêne, reste marquée par cette redevance.
On voit là toute l’intelligence des moines : prévoir l’avenir, protéger leur droit contre le temps et les métamorphoses du paysage.
Et toute la résignation de Johannes : accepter qu’une rente seigneuriale, autrefois disputée, s’efface devant l’autorité spirituelle.
Mais derrière Johannes se cache une autre figure : Dionisia, sa sœur. Elle est absente de la charte, mais son destin éclaire tout : elle épouse Gervais Baderon, frère germain de la mère d’Alain et de Jehan seigneurs de Lanvalei.
Et voilà que, par une femme, les Villicus rejoignent les Baderon, et que les Lanvalei héritent de ce tissu de liens.
Dans la lumière tremblante de cette charte, il n’y a pas seulement une dîme sur des vignes.
Il y a un instant de vérité : une famille entière, mains posées sur la table, accepte de céder ce que leurs ancêtres avaient tenu.
Et ce faisant, ils gravent leur nom non seulement dans l’histoire de Dol, mais dans celle de toutes les familles qui s’y rattachent.
Jean-Pierre et Elios Moy.
