Charte n°9. La charte de Guillaume Jordan et Ruellon Baudoin


La charte de Guillaume Jordan et Ruellon Baudoin


Une charte de Vieuville, datée de la fin du XIIᵉ siècle, nous entraîne en la paroisse de Baguer.
À première vue, il ne s’agit que d’un litige foncier, mais en vérité c’est un précieux témoin des réseaux féodaux d’Épiniac et de Dol.

📜 Le texte raconte que Guillaume Jordan et son frère Ruellon Baudoin tenaient ensemble une terre après la mort de Guillaume de Pontgerouard, possession transmise par Guillaume Garembert (Le 07/03/1559 sera citée pour Pontgerouard, au titre de son douaire, Demoiselle Bertranne de Mauny, Dame de Trimer, et de Fournet, tutrice de son fils né de François du Fournay, seigneur de Fournay ; elle était veuve en première noce de Jean Levesque. Au xviii siècle la seigneurie de Pont-Gérouard sera successivement le bien de Gilles du Cobatz, de Sébastien-François de la Fruglaye et de Michel-Mathieu de Fruglaye, son fils).
Opposés aux moines de Vieuville, ils perdirent leur procès devant la cour de Combourg et furent menacés d’excommunication s’ils refusaient de céder.

👉 La charte est claire : Guillaume Jordan et Ruellon Baudoin sont frères.
Deux noms, deux surnoms, mais une même lignée. Le patronyme n’est alors pas encore fixe.

Or nous savons que Guillaume de Pontgerouard eut trois fils : Alain, Hamon et Thomas.
Ce dernier, Thomas, prit pour épouse Alès Baderon.

Mais attention : Alès n’est pas la sœur directe de Gervais ou d’Alveve Baderon.
Elle est la fille de Guillaume “fils de Guillaume”, lui-même fils de Guillaume “fils d’Alain”.
Autrement dit, Alès est la petite-fille de Guillaume fils d’Alain et donc la petite-nièce de Gervais et de Dame Baderon.

✨ Cette nuance est capitale : elle montre que l’union entre les Pontgerouard et les Baderon/Lanvalei n’est pas un accident d’une seule génération.
Ces mariages d’intérêt social, destinés à consolider des réseaux féodaux, se poursuivaient volontairement dans les générations suivantes, afin de maintenir et renforcer les alliances établies.

Et la cohérence territoriale est frappante :
La terre de Pontgerouard, au bord du Guyoult, est presque limitrophe des terre et étangs d’Harel, et des dites prairies et ruisseau de Travidal biens seigneuriaux des Baderon/Lanvalei.
Les familles sont alliées, les terres sont voisines : tout se tient.


👉Ainsi, un simple jugement de la cour de Dol devient une clé généalogique : il nous restitue le maillage féodal d’Épiniac, où se rencontrent les maisons Jordan, Pontgerouard, Baderon et Lanvalei.

🔎 Note critique sur Guillaume Jordan de la charte

Le nom de Guillaume Jordan, cité avec son frère Ruellon Baudoin dans la charte de Baguer, pourrait faire penser à une parenté directe avec la lignée des sénéchaux de Dol, puisque l’on connaît un Jordan fils d’Alan, sénéchal héréditaire au XIIᵉ siècle.
Cependant, les sources sont explicites : le sénéchal Jordan n’a pas laissé d’héritier mâle, mais une fille, Alice (ou Alix), qui transmit la charge en épousant Geoffroy de l’Espine.
Si un fils Guillaume avait existé, il aurait naturellement recueilli le sénéchalat.

👉 Le Guillaume Jordan de notre charte n’est donc pas le fils du sénéchal, mais il pourrait appartenir à un rameau collatéral de cette maison.
L’usage du nom « Jordan » comme patronyme pourrait traduire :

  • soit une descendance indirecte d’un frère ou cousin du sénéchal,
  • soit une volonté d’afficher une proximité symbolique avec cette famille prestigieuse.

⚖️ Toutefois, une autre piste existe. Lors de la fondation de l’abbaye de Vieuville en 1138, apparaît comme témoin un certain Jordan fils de Porcher.
Cela prouve que le prénom Jordan, bien que rare en pays de Dol, n’était pas exclusivement réservé à la lignée des Alan sénéchaux. Il pouvait aussi appartenir à d’autres familles seigneuriales locales.
Ainsi, le Guillaume Jordan de Baguer pourrait tout aussi bien descendre de ce Jordan fils de Porcher, présent aux origines mêmes de Vieuville.

⚖️ En clair : la rareté du prénom agit comme un indice fort de rattachement à un lignage de poids — qu’il s’agisse des Alan (sénéchaux) ou des Porcher. Dans les deux cas, cela renforce la valeur de la charte comme témoin du maillage familial et féodal autour de Dol.

🔔 Note aux lecteurs
Cette charte n’est qu’un premier jalon. Nous allons poursuivre pas à pas l’exploration du chartrier de Vieuville, pour montrer comment, aux XIIᵉ et XIIIᵉ siècles, les familles Baderon, Pontgerouard, Jordan, Villicus, Lanvalei et bien d’autres encore s’entrelacent dans un réseau d’alliances féodales et spirituelles.

À travers ces documents, ce sont des terres, des mariages, des héritages, mais aussi des noms presque effacés qui ressurgissent.
Et derrière eux, une trame : celle d’un pays où Épiniac et Dol se révèlent être des carrefours essentiels de la mémoire seigneuriale.

À suivre donc, au fil des chartes…

La charte latine :
Omnibus Christi fidelibus presentem paginam inspecturis, P[etrus],
Dei gratia sancti Maclovii episcopus, et Willelmus, abbas de Tronchei
et P (Petrus) sancti Maclovii archidiaconus, duorum papæ delegati, salutem.
et delectionem noverit Universitas vestra nos confirmasse authoritate
D. P.abbati et monachis de Veteri Villa possessionem
terre in parrochia de Bagar per judicium curie dni dolensis
ostense (Ostende), et tres solidos de redditibus terre quos seilicet Willelmus
Jordan et Ruellonus Baudoin per decem annos
post mortem Willelmi de Pontegeroart a possessione
dicte terre videlicet a Guillelmo Garembert receperunt
sicut probatum est in nostra curia apud Combour per (presentibus)
testes legitimus monachorum presente predict Willelmo
Jordan et Ruellono Baudoin et predicta authoritate
illos omnes excommunicarimus qui predicta possessionem
presumpserit pertubare presertim Willelmus Jordan
et Ruellorum fratrem sicum misy possessionem illam dimi (dimittere)
recusarent, quiete et si in alia curia molestare pr(a)esumpserit.



Traduction :
À tous les fidèles du Christ qui liront la présente page, salut.
Moi, Pierre, par la grâce de Dieu évêque de Saint-Malo,
et Guillaume, abbé du Tronchet et archidiacre de Saint-Malo,
tous deux délégués du pape, faisons savoir :
Par notre autorité, nous avons confirmé à l’abbé Pierre et aux moines de Vieuville
la possession d’une terre dans la paroisse de Bagar (Baguer),
obtenue par jugement de la cour de Dol,
ainsi que trois sous de revenus de cette terre,
que tenaient Guillaume Jordan et son frère Ruellon Baudoin,
pendant dix ans après la mort de Guillaume de Pontgerouard,
ladite possession ayant été reçue de Guillaume Garembert.
Cette décision fut prouvée dans notre cour de Combourg,
en présence de témoins légitimes et des moines,
malgré l’opposition des susdits Guillaume Jordan et Ruellon Baudoin.
En conséquence, usant de l’autorité susdite,
nous avons excommunié tous ceux qui oseraient désormais troubler ladite possession,
et tout spécialement Guillaume Jordan et son frère Ruellon Baudoin,
s’ils refusaient de l’abandonner paisiblement.
Et si, dans une autre cour, ils osaient encore la contester,
nous décrétons que le jugement demeurera ferme et perpétuel.

La terre de Pontgerouard, aujourd’hui Pont Gerouard.
Terre assise juste au dessus de Vieuville de Harel, aujourd’hui « la Hairière ».