1261-1266. La lignée des Bouteiller de Dol

Chartes n°13 et 14.
Geoffroy le Bouteiller de Dol, chevalier de la Chesnaye

Deux chartes, un sceau, une lignée.
Ces deux chartes, datées de 1261 et 1266, racontent à elles seules l’histoire d’une lignée puissante, ancrée autour de Dol et d’Épiniac : la maison du Bouteiller.
Elles nous montrent Geoffroy, seigneur de la Chesnaye, père de Dame Aude, épouse d’Hamelin de Teicent/Tressaint, et portent le sceau emblématique de sa fonction : une coupe, symbole de l’office prestigieux de bouteiller de Dol.
Ensemble, elles éclairent les réseaux féodaux reliant Dol, Épiniac, La Boussac, Tressaint et Lanvallay.


🌿La charte de 1261 :
En juillet 1261, Geoffroy le Bouteiller de Dol, chevalier, seigneur de la Chesnaye en Épiniac, confirme à l’abbaye de Vieuville la donation des droits qu’il possède sur le fief du chapelain, en la paroisse d’Épiniac.

Texte latin

📜 Universis presentes litteras inspecturis et audituris Gaufridi le Botillier de Dol miles salutem in Domino.
Noveritis universitas vestra quod ego, pro salute mea nec non et parentum meorum, dedi et concessi in puram et perpetuam elemosinam, liberam omnino et quittam, Deo et beatae Mariae de Veteri Villa et monachis ibidem Deo servientibus, quidquid juris et possessionis habebam et habere poteram quoquo modo in feodo Capellani in territorio de Chesneio, sito in parrochia de Spiniaco.
Quinimo donationem illam monachis garantizabo et defendam ; et ad haec omnia heredes meos volui teneri specialiter obligatos.
In cujus rei testimonium, actum anno Domini 1261, mense Julio.

Traduction française

🌍 À tous ceux qui liront ou entendront ces présentes lettres, salut dans le Seigneur.
Moi, Geoffroy le Bouteiller de Dol, chevalier, fais savoir que, pour le salut de mon âme et de celle de mes parents, j’ai donné et concédé en pure et perpétuelle aumône, libre et franche, à Dieu et à la bienheureuse Marie de Vieuville, ainsi qu’aux moines qui y servent Dieu, tous les droits et possessions que j’avais ou pouvais avoir de quelque manière dans le fief du chapelain, situé sur le territoire de la Chesnaye, en la paroisse d’Épiniac.
Je garantis et défendrai cette donation, et j’ai voulu que mes héritiers y soient eux-mêmes tenus et spécialement obligés.
Fait en l’an du Seigneur 1261, au mois de juillet.

🌿La charte de 1266 et la lignée des Bouteiller de Dol

En l’an 1266, à La Boussac, se tint un procès singulier.
On y voyait comparaître Hamelin de Teicent, chevalier de Tressaint, accompagné de son épouse Aude, fille de Geoffroy Bouteiller, seigneur de la Chesnaye en Épiniac.
Le litige portait sur une terre que les moines de Vieuville affirmaient tenir de Geoffroy Bouteiller, et que le couple réclamait au titre de l’héritage d’Aude.
Pour trancher, deux arbitres furent désignés : Olivier de Cherrueix, chevalier, et Alain Poingelos, écuyer.
Finalement, le serment prêté par les moines fit pencher la balance en leur faveur, et la donation demeura ferme.
À première vue, ce n’est qu’un différend foncier. Mais en vérité, cette charte nous ouvre un pan entier de la mémoire nobiliaire du pays de Dol.


🌳 Aux origines : Riwalt Buticularius
La maison des Bouteiller n’était pas une lignée ordinaire : elle descendait d’une tradition ancienne, attachée à l’office prestigieux de buticularius — le bouteiller de Dol, chargé de servir le vin, de porter la coupe, mais aussi de sceller les actes.
Cette fonction, dès le XIᵉ siècle, s’était transformée en un véritable surnom familial.

Elle était donc l’une des plus anciennes et des plus distinguées du duché de Bretagne, ayant possédé successivement les terres et seigneuries de la Chesnaye, Maupertuis, les Landes, Villeauren, le Racinoux, le Rois-Henry, la Chapelle, Charbonnières, Lessac, les Blérons, la Giraudaie, le Châtenay, Leauville, la Houssinère, etc.

Le tout premier Bouteiller de Dol, issu des machtierns du pays de Redon, fut Riutall Butellarius, père d’Hugues et de Roianteline, vicomtesse de Dol/Combourg, épouse d’Hamon “le Gouverneur”, vicomte d’Alet.
À ce titre, Riutall (Rwalt/Rivoal) sera la souche, entre autres, des maisons seigneuriales de Dinan, de Dol/Combourg, et des Baderon — eux-mêmes l’une des sources de la maison de Lanvalei.

Riutall, né vers 940.
Hugues et Roianteline, nés vers 970.
Hervé Butellarius, né vers 1100, cité en 1143 comme seigneur de Ros-Landrieux, lorsqu’il donna sa dîme annuelle de l’église de Ros-sur-Couesnon aux moines de Saint-Florent-sous-Dol. Il semble être le neveu de Roianteline.
Geoffroy le Bouteiller, né vers 1210–1220, seigneur de la Chesnaye (cité dans notre charte), épousa Tiennette d’Aubigné et mourut après 1261, ayant offert à Vieuville les rentes de ses aumôneries de la Chesnaye.
Tiennette semble être fille de Raoul d’Aubigné, époux de Mahaut de Montsorel (arrière-petite-fille de Gelduin de Montsorel, fondateur de Vieuville en 1137).
Geoffroy, par son mariage, transmit à ses enfants un patrimoine considérable.
Hervé, frère du précédent, fut l’un des seigneurs bretons qui accompagnèrent le duc Pierre de Dreux à la croisade de 1248 (titre daté de Limisso, 1249).


💍 Dame Aude et Hamelin de Teicent
Au XIIIᵉ siècle, Aude Bouteiller, par son mariage avec Hamelin de Teicent, introduit l’héritage des Bouteiller jusque dans le terroir de Lanvallay, au village de Tressaint.
Peut-être même que le nom de Villehameline conserve encore la mémoire de ce couple.

Par elle, c’est toute une continuité qui s’éclaire :

– De Riwalt Buticularius au XIᵉ siècle, père de Roianteline et ancêtre des Dinan.
– À Geoffroy Bouteiller au XIIIᵉ siècle, seigneur de la Chesnaye en Épiniac.
– Jusqu’à Aude, mariée à Hamelin de Teicent.


📜 Le serment judiciaire au XIIIᵉ siècle : une preuve décisive
Au Moyen Âge, la justice féodale et ecclésiastique repose largement sur la preuve par serment.
Plutôt que de recourir systématiquement à des documents écrits ou des enquêtes longues, on exige des parties ou de leurs témoins un serment solennel, prêté sur les Évangiles.

Ce serment devient un acte sacré : il engage l’âme devant Dieu, et tout parjure est considéré comme un crime spirituel grave.
Son poids religieux lui donne une valeur juridique absolue : on ne cherche pas tant à vérifier les faits qu’à établir qui ose affirmer la vérité devant Dieu.

Dans la charte de 1266, ce mécanisme est visible :
– Les moines produisent des lettres scellées de Geoffroy Bouteiller.
– Mais ils prêtent aussi serment qu’aucun prêt caché n’avait accompagné cette donation.
– Hamelin de Teicent et Aude acceptent alors le verdict.

Cette scène illustre parfaitement le rôle central du serment dans le droit médiéval : la vérité se scelle par la foi.


⚖️ Conclusion
Ce n’est pas un simple hasard de parchemin.
La charte de 1266 révèle, derrière un conflit de dîmes, la permanence d’un nom, d’un office et d’une lignée.
Les Bouteiller de Dol, ancrés à Épiniac, descendaient probablement de Riwalt Buticularius.
Dame Aude, en épousant Hamelin de Teicent, portait dans son sang l’écho de la vieille maison vicomtale de Dol et des premiers Dinan.
Lanvallay, Dol, Épiniac : tout se tient, et chaque charte le rappelle.


📜 Transcription

Universis presentes litteras inspecturis vel audituris Oliverius de Charruiers miles, et Alanus Poinglos tunc temporis armiger, salutem in domino.
Noveritis quod cum contentio verteretur diu in curia laicali coram episcopo Dolensi, seu allocatis ipsius, inter Hamelinum de Teicent militem et ejus uxorem dominam Audam ex una parte, et abbatem et conventum Veteris Ville ex altera, Hamelinus et Auda dicentibus quod Religiosi habuerant a Gaufrido Buticulario Dolensi milite defuncto terram in pago d’Espiniac que dicitur feodus Chapelam, ratione doni seu commodati dicto militi a dictis Religiosis facti; dicti Religiosi dicentibus se dictam terram habuisse a dicto milite per puram elemosinam de quo habebant litteras sigillo dicti militis sigillatas.
Quam terram dicti Hamelinus et ejus uxor petebant ratione proximitatis reverti ex parte dicte Aude filie dicti militis, reddendo donum vel commodatum datum dicto militi pro dicta terra.
Factum tandem, post multas altercationes coram nobis agitatas, convenerunt tandem Hamelinus et Auda quod si frater Robertus de Hedeio et frater Gaufridus de Bescherel monachi Veteris Ville vellent et possent jurare tactis sanctis Evangeliis quod ipsi nihil dedissent vel commodassent ratione dicte terre dicto Gaufrido, dicti Religiosi essent ab impetitione dictorum Hamelini et Aude immunes.
Quod cum dicti Religiosi praestitissent coram nobis Hamelino et Auda corporaliter presentibus, et dictum Sacramentum accipientibus, nos tanquam arbitri adjudicavimus dictis Religiosis et eorum monasterio dictam terram.
In cujus rei testimonium etc. Datum anno Domini 1266, mensis Augusti, apud Labocac
.


🌍 Traduction française

À tous ceux qui verront ou entendront la présente lettre,
moi, Olivier de Charriers, chevalier, et Alain de Poinglos, écuyer en ce temps, salut dans le Seigneur.
Sachez que, comme un différend s’était élevé depuis longtemps devant la cour laïque de l’évêque de Dol et de ses assesseurs, entre Hamelin de Teicent, chevalier, et son épouse dame Aude d’une part, et l’abbé et le couvent de Vieuville d’autre part, au sujet d’une terre située au pays d’Épiniac, appelée le fief de Chapelan :
— Hamelin et Aude soutenaient que les religieux ne possédaient cette terre que par prêt ou don temporaire, fait autrefois par feu Geoffroy Bouteiller, chevalier de Dol, père de ladite Aude.
— Mais les religieux affirmaient qu’ils tenaient cette terre de lui en pure aumône, et en produisaient des lettres scellées du sceau dudit chevalier.
Lesdits Hamelin et son épouse prétendaient que la terre devait leur revenir par droit d’héritage (proximitas), comme étant la part de leur épouse Aude, fille du chevalier Geoffroy, tout en restituant ce qui avait pu être donné en prêt.
Enfin, après de nombreuses altercations, il fut convenu que si frère Robert de Hédé et frère Geoffroy de Bescherel, moines de Vieuville, voulaient et pouvaient jurer sur les saints Évangiles qu’ils n’avaient rien prêté ni concédé au défunt Geoffroy Bouteiller pour ladite terre, alors les religieux seraient à jamais libérés de la revendication d’Hamelin et d’Aude.
Or, comme ce serment fut accompli devant nous, Hamelin et Aude étant présents en personne, et ayant accepté ledit témoignage, nous, en qualité d’arbitres, avons jugé que la terre appartiendrait aux religieux et à leur monastère.
Donné en l’an du Seigneur 1266, au mois d’août, à La Boussac.


🗺️ Une carte simplifiée des possessions Bouteiller et Teicent au XIIIᵉ siècle montre :
– Le lien fort Dol ↔ La Boussac ↔ Épiniac ↔ La Chesnaye ↔ Tressaint ↔ Lanvallay.
– Le rôle central de l’abbaye de Vieuville dans ce réseau féodal.


Voilà une carte simplifiée des possessions Bouteiller et Teicent au XIIIᵉ siècle.
Elle montre clairement :
Le lien fort Dol ↔ La Boussac ↔ Épiniac ↔ La Chesnaye ↔ Tressaint ↔ Lanvallay
Le rôle central de l’abbaye de Vieuville dans ce réseau féodal.
Veux-tu que j’y ajoute des couleurs différentes (famille Bouteiller vs Teicent vs Domaine religieux) pour clarifier les alliances ?