Charte de fondation du prieuré du Pont à Dinan

Introduction

Cette traduction respecte scrupuleusement le contenu et l’esprit du texte latin originel, sans ajout ni condensation. Elle vise à rendre accessible à un lectorat moderne un acte de donation fondamental dans l’histoire religieuse et seigneuriale de Dinan au tournant des XIe et XIIe siècles.
Traduction complète réalisée par Elios et Jean-Pierre.


Un acte médiéval qui éclaire l’histoire de Dinan… et peut-être celle de Lanvallay

Vers 1080–1100, Geoffroy de Dinan accorde aux moines de Saint-Florent de Saumur une série de biens et de droits, dans un document fondateur que l’on peut considérer comme l’acte de naissance du prieuré du Pont à Dinan.
Ce texte exceptionnel, conservé grâce au travail des bénédictins angevins, éclaire bien au-delà du fait religieux : il dessine le paysage social, politique et économique d’une cité en formation. On y découvre les premiers contours du bourg monastique, les tensions militaires autour du pont, les droits de passage, la vie des pêcheurs, et la place centrale qu’occupent les seigneurs de Dinan dans l’affirmation d’un pouvoir local.
À travers ce travail, nous proposons deux approches de la charte :
– une traduction rigoureuse et fidèle au texte latin, ligne par ligne ;
– une version commentée, qui éclaire chaque passage dans son contexte historique, linguistique et humain.

Et au détour d’un nom — Berhaudus de Lanvava —, se profile peut-être la première mention écrite du territoire de Lanvallay, que nous explorerons plus loin, avec prudence et passion.

Page n° 1 de la charte de Fondation.
Achat personnel : CNRS d’Orléans.

Charte latine
Texte intégral

Noscant presentes et posteri, quoniam Goffredus de Dinam, pro relaxatione peccatorum suorum, et uxoris suȩ, et filiorum suorum, et omnium parentum suorum, dedit sancto FLORENTIO, et monachis inibi Deo servientibus in eodem castro quod vocatur Dinam, vel in castellaria ejusdem castri, ad pontem de Rentia loca ad molendina facienda, vel in alio loco, ad tot quot facere voluerint. Et ad caput pontis, unum pratum quod suum erat proprium,  ubi bella fieri solebant. Et duodecim denarios, de unaquaque navi, ex quacumque parte  venerit mercibus honerata, sive applicuerit in burgo monachorum, sive ex alia parte castri. Et terram quandam modo arabilem, quȩ olim pro pratis habebatur, sub eodem castro. Et  meiteriam unam, cum rustico, et messe, et bobus. Et si homines illius aliquid dimiserint predicto sancto,  in aliquo loco, sine aliquo precio quod inde habeat, concessit. Et quicumque voluerit habitare in burgo monachorum similiter. Rivallonus autem Rufus frater Goffredi de Dinam, dedit predictis monachis  in valle juxta castrum, terram ad faciendam ȩcclesiam, et ad domos monachorum, et ad burgum  faciendum solidam et quietam sine omni consuetudine quȩ alicui persolvatur, exceptis monachis. Et quecumque merces venales sive per terram sive per mare in burgum monachorum advecte uerint, consuetudines tantum monachis persolvent. Hoc donum concesserunt, Orio uxor Goffredi et filii ejus videlicet Oliverius, Alanus, et alii. Testes qui huic dono affuerunt, Willelmus abbas Sancti FLORENTII, in cujus manu hoc donum factum est cum cultello Guihenochi monachi, Goffredus de Langan, Donatus, Rainaldus filius Eudonis, Willelmus Judeus, monachi Sancti Florentii. De famulis monachorum, Benedictus camerarius, Paganus mariscallus, Albertus cocus, Lambertus Bigotus, Herveus filius Anscherii. De militibus ejusdem castri, Radulfus vicecomes, Haimo filius Guihenochi, Guido Gobio, Goffridus de Ferraria, Grafio, Picotus de Landa Boiloc, et alii multi.  Postea tulit illuc domnus abbas Willelmus reliquias de sancto Mevenno et sancto Judicaele et aliis sanctis, quas cum tripudio magno suscepit tam Goffredus quam populus de Dinam. Et dedit Goffredus gratia susceptarum  reliquiarum domno abbati Willelmo ad opus monachorum apud Dinam conversaturorum piscariam suam  a ponte de Rentia usque ad molendinum monachorum de Lehone, sicut ipse habebat illam solidam et quietam, presentibus et assentientibus Rivallono fratre suo, atque Alano filio suo, presentibus etiam monachis, Donato videlicet, Goffredo de Langan, Guihenocho, Rainaldo filio Eudonis. Deinde Goffredus de Dinam dedit Sancto Florentio, et Willelmo abbati, et suis monachis, terram  juxta pontem de Dinam in qua fuit virgultum Orguenne uxoris Goscelini, cum vinea quȩ in ea  erat, et omnem terram juxta mensuram ejusdem virgulti usque in fluvium Rentiȩ, concedentibus omnibus qui eo die illam tenebant, Ansgerio scilicet de Ponte, Ansquetillo filio ejusdem, et Gorhanno genero ejus, et Maino filio Guihenoci, de cujus feodo terra supradicti virgulti erat, et hoc etiam  concedente Rivallono, de cujus feodo erat terra quȩ data est monachis juxta idem virgultum. De hoc sunt testes ipse Goffredus de Dinam, Alanus filius ejusdem, Rivallonus Rufus, Rio filius Roaldi, Barbot  vicarius et duo filii ejus, Gorhannus, et Jarnogonus, Goffridus filius Goffridi de Ferraria, David filius Breselli de Sancto Sollemni  Ricardus filius Rivalloni nepos Guihenoci monachi, Symon archidiaconus, Quinvaredus decanus, Radulfus Bili, Lebertus filius Malorei, Eudo filiaster Ansgerii, Berhaudus de Lanvava Guinemerus  Grossinus, Alvualt, Arnaldus de Labuciaca , Goffredus Ricoldus nepos Rainaldi, Urvoius filius Rotberti

L’ancienne maison du Prieur

Que le présent et la postérité sachent que Geoffroy de Dinan, pour la rémission de ses péchés, de ceux de sa femme, de ceux de ses enfants et de tous ses parents, a donné à Saint-Florent et aux moines qui servent Dieu dans le camp appelé Dinan, ou proche du canal qui conduit l’eau dans ce même camp, des lieux au pont de la Rance pour y faire des moulins, ou dans tout autre endroit selon leur volonté.
Il leur a aussi donné, à la tête du pont, une prairie qui lui appartenait, là où les guerres ont coutume d’avoir lieu. Et douze deniers sur chaque navire, quel que soit le côté d’où il vienne avec des marchandises, qu’il accoste au bourg des moines ou à toute autre partie du camp.
Sous le même château, il leur a concédé une terre arable qui auparavant était considérée comme des prairies. Et une métairie avec le fermier, la moisson et les bœufs. Et si un habitant de cette ville donne quelque chose audit saint, en quelque lieu que ce soit, cela sera accordé aux moines, et aucune somme ne pourra en être exigée.
Quiconque souhaitera habiter dans le bourg des moines devra faire de même
. Riwallon le Roux, frère de Geoffroy de Dinan, a donné aux susdits moines, dans la vallée près du château, un terrain pour y construire une église et des maisons pour les moines, sans aucune coutume, afin qu’y soit établi un bourg solide et tranquille, à l’exception des coutumes dues aux moines. Quelles que soient les marchandises amenées dans le bourg des moines, par terre ou par mer, seul ce qui est dû aux moines de droit sera payé.
Ce don fut consenti par Orieldis, femme de Geoffroy, et par ses fils. Les témoins de cette donation furent Guillaume, abbé de Saint-Florent, dans la main duquel la donation fut faite, avec le couteau du moine Guihenochi ; Geoffroy de Langan ; Donatus ; Rainald, fils d’Eudes ; Guillaume le Juif, moines de Saint-Florent. Parmi les serviteurs des moines : Benoît le chambellan ; Payen le maréchal ; Albert le cuisinier ; Lambert le bigot ; Hervé, fils d’Anscherius. Parmi les soldats du camp : Rainald le shérif ; Haimon, fils de Guihenoc ; Guy de Goyon ; Geoffroy de Ferrare ; Grafio ; Picot de la Lande Boilou ; et bien d’autres.
Ensuite, le seigneur Guillaume, abbé , apporta les reliques de saint Méen et de saint Judicaël, ainsi que d’autres saints. Geoffroy et les habitants de Dinan les reçurent avec grande joie. Geoffroy donna alors les précieuses reliques reçues du seigneur abbé Guillaume, et pour le travail des moines de Dinan, il transforma sa pêcherie du pont de Rance, ainsi que celle du moulin des moines de Léhon, comme il les tenait solides et tranquilles, avec le consentement des personnes présentes, à savoir Riwallon, son frère, et Alain, son fils, et en présence des moines également présents : Donato, Geoffroy de Langan, Guihenoc, Rainald fils d’Eudes.
Geoffroy de Dinan donna à Saint-Florent, à Guillaume son abbé, et à ses moines, la terre voisine du pont de Dinan dans laquelle se trouvait la friche d’Orguen, femme de Goscelin, avec la vigne qui s’y trouve, et toute la terre depuis la masure de la même friche jusqu’à la rivière de la Rance, avec l’accord de ceux qui la tenaient à cette époque : Ansgerius de Pontus, Ansquetil son fils, Gorhan son gendre, et Main, fils de Guihenoc, à qui appartenait la terre dudit bosquet. Riwallon consentit aussi à cette donation, lui à qui appartenait une autre partie de la terre près de la même friche. Furent témoins de cela : Geoffroy de Dinan lui-même ; Alain, son fils ; Riwallon le Roux ; Rio, fils de Roald ; Barbot, le vicaire, et ses deux fils, Gorhannus et Jarnogonus ; Geoffroy, fils de Geoffroy de Ferrare ; David, fils de Bresel de Saint-Solen ; Richard, fils de Riwallon, neveu du moine Guihenoc ; Simon l’archidiacre ; Quinvaredus, le doyen ; Radulfus Bili ; Lebertus, fils de Malore ; Eudes, fils d’Ansgerius ; Berhaudus de Lanvava ; Guinemerus Grossinus ; Alvualt ; Arnaldus de Labuciaca ; Geoffroy Ricoldus, neveu de Rainald ; Urvoius, fils de Rotbert
.

Le quartier de la Magdeleine du pont à Dinan (Vers 1900).

Charte du prieuré du Pont à Dinan
Version commentée.

Que le présent et la postérité sachent que Geoffroy de Dinan…
Commentaire : Formule d’ouverture solennelle typique des chartes médiévales. Elle marque l’intention de rendre l’acte public et éternel. Geoffroy de Dinan est ici désigné comme le principal bienfaiteur.
…pour la rémission de ses péchés, de ceux de sa femme, de ceux de ses enfants et de tous ses parents…
Commentaire : Le motif spirituel (salut des âmes) est invoqué, très courant dans les donations aux moines. L’acte dépasse donc le cadre matériel pour se situer dans une logique de rédemption.
…a donné à Saint-Florent et aux moines qui servent Dieu dans le camp appelé Dinan…
Commentaire : L’abbaye de Saint-Florent de Saumur est la bénéficiaire. Les moines sont déjà installés à Dinan, ce qui suppose une implantation antérieure à l’acte. De fait il s’agit des moines qui étaient en errance sous la ville de Dinan la vétusté du prieuré de Saint-Malo de Dinan empêchant leur réception.
…ou proche du canal qui conduit l’eau dans ce même camp…
Commentaire : Il est ici question du canal qui alimente la forteresse et/ou les établissements monastiques. Ce détail souligne la relation stratégique du lieu avec l’eau.
…des lieux au pont de la Rance pour y faire des moulins, ou dans tout autre endroit selon leur volonté.
Commentaire : Le don est d’abord économique. Le droit de construire des moulins sur la Rance témoigne d’une volonté d’assurer des revenus durables à la communauté.
Il leur a aussi donné, à la tête du pont, une prairie…
Commentaire : Le site est hautement stratégique : « la tête du pont » est un lieu de passage, mais aussi un lieu de conflits, comme l’évoque la mention des « guerres ».
…et douze deniers sur chaque navire, quel que soit le côté.
Commentaire : C’est un droit de péage sur le commerce fluvial. Il s’agit d’un revenu régulier pour les moines, fondé sur la circulation marchande.
Sous le même château, il leur a concédé une terre arable…
Commentaire : L’espace concédé évolue : d’une friche à une terre arable, signe d’un effort d’aménagement du territoire par ou pour les moines.
…et une métairie avec le fermier, la moisson et les bœufs.
Commentaire : Le don inclut les hommes et les bêtes — c’est donc un transfert complet d’un domaine en fonctionnement.
…Et si un habitant de cette ville donne quelque chose audit saint…
Commentaire : Toute donation privée est désormais considérée comme acquise aux moines, ce qui renforce leur pouvoir économique et spirituel.
…quiconque souhaitera habiter dans le bourg des moines devra faire de même.
Commentaire : Clause communautaire : les habitants du futur bourg doivent adhérer à la logique de donation et de respect des droits monastiques.
Riwallon le Roux, frère de Geoffroy de Dinan, a donné…
Commentaire : Deuxième grand donateur. Cela montre une politique familiale concertée en faveur de l’abbaye.
…dans la vallée près du château, un terrain pour y construire une église.
Commentaire : L’installation religieuse est encouragée dans la vallée, en contrebas du château, probablement pour renforcer la présence monastique face aux structures seigneuriales.
Ce don fut consenti par Orieldis, femme de Geoffroy, et par ses fils.
Commentaire : La mention explicite des membres de la famille renforce la validité juridique et morale du don.
Les témoins de cette donation furent Guillaume, abbé de Saint-Florent…
Commentaire : Témoignage essentiel : la présence de l’abbé de Saumur en personne donne un poids religieux et juridique à l’acte. Le couteau utilisé évoque les traditions rituelles de donation.
…et bien d’autres.
Commentaire : Une très longue liste suit, mêlant moines, serviteurs et soldats. Cela souligne l’importance collective et publique de la scène.

Ensuite, le seigneur Guillaume, abbé… apporta les reliques…
Commentaire : On passe d’un acte de donation à une cérémonie religieuse majeure. Le transfert de reliques est à la fois spirituel et politique : il consacre le statut du lieu.
Geoffroy donna alors… il transforma sa pêcherie…
Commentaire : Conversion de propriétés économiques en biens d’Église, par volonté spirituelle, et toujours avec l’assentiment des proches.
Geoffroy de Dinan donna à Saint-Florent… la terre voisine du pont…
Commentaire : Cette nouvelle donation ancre les moines sur la rive du pont, en lien avec une terre tenue par plusieurs petits tenanciers, identifiés un par un.
Riwallon consentit aussi à cette donation…
Commentaire : Le double accord des frères Geoffroy et Riwallon rend l’acte incontestable.
Furent témoins de cela : Geoffroy de Dinan lui-même…
Commentaire : La deuxième grande liste de témoins fait intervenir tout le tissu seigneurial local, preuve que l’acte est reconnu par l’ensemble de la société de Dinan.
Berhaudus de Lanvava…
Commentaire : Ce nom est le plus ancien témoin probable de ce qui deviendra « Lanvallay ». Il fera l’objet d’un chapitre spécifique.

Conclusion : une charte, des visages, une mémoire

🕯️ Une donation, un paysage, des hommes

La charte de fondation du prieuré du Pont à Dinan ne se résume pas à une simple donation religieuse. Elle reflète le paysage féodal du XIe siècle, où les puissants s’efforcent de conjuguer pouvoir, salut, et structuration du territoire. Geoffroy de Dinan, en se plaçant sous l’égide de Saint-Florent, construit aussi un réseau d’alliés et de témoins, tissant un maillage féodal et spirituel.


🧾 Un document fondateur pour l’histoire locale

Par sa richesse, cette charte éclaire la topographie médiévale du Dinanais, nomme des lieux, révèle des familles et pose les premières pierres du bourg monastique qui deviendra plus tard Dinan-Lehon. Elle nous permet aussi de pister les origines de Lanvallay, par l’intermédiaire du mystérieux Berhaudus de Lanvava.


🔍 Une source ouverte à l’interprétation

Chaque nom, chaque détail, chaque ligne porte des strates de sens : des intentions religieuses, des enjeux politiques, des souvenirs effacés par les siècles. Par l’analyse minutieuse de ses lignes, nous avons tenté de redonner chair à ces fragments d’histoire, avec rigueur, mais aussi avec respect pour la mémoire qu’ils portent.


🤝 Une démarche partagée

Ce travail s’inscrit dans un projet commun : comprendre, transmettre, et rendre accessible une histoire locale précieuse. Merci à tous ceux qui suivent cette aventure, et à ceux qui voudront enrichir, commenter ou compléter ce travail.

Feuillet de la charte reprenant l’existence de Berhandus de Lanvava orthographié, à tors par tous, « de Danharia »