
📜 La charte de Geoffroy de l’Espine, Pincerna de Dol
Chartre n°10.
👉 A première vue, il ne s’agit que d’un acte de donation en faveur de l’abbaye de Vieuville. Mais à la lecture attentive, cette charte nous révèle une fonction prestigieuse, un nom, et une alliance capitale pour l’histoire de Dol.
En effet, parmi les témoins figure Geoffroy de l’Espine, qualifié de Pincerna de Dol — l’échanson de Dol.
Ce titre n’est pas anodin : l’échanson n’était pas seulement celui qui goûtait le vin et portait la coupe. Il avait la charge des sceaux, signait les édits et accompagnait le seigneur dans ses décisions. Comme pour la charge de bouteiller (Buticularius) ou de voyer (Villicus), il s’agissait d’un office de haute confiance, parfois même transmis héréditairement.
Ici, il apparaît aux côtés d’Hasculfus de Soligné, donateur, de familles voisines comme les Faon ou les Corrigiato, et de lieux aujourd’hui disparus ou transformés :
- Paluel, ancienne paroisse engloutie par la mer,
- Bella Insula, ou Belle-Isle, disparue également,
- et la mystérieuse Magna nova Viridaria, la Grande Nouvelle-Vergée.
Ce simple acte nous transporte donc au cœur du pays de Dol au début du XIIIᵉ siècle.
Et son importance grandit encore lorsqu’on sait que vers 1210, Guillaume Bouterat, fils de Radulfus de Flacheio et d’Appolionius de Lanvalei, épousera l’une des filles de ce Geoffroy de l’Espine, Pincerna de Dol.
Par cette union, la charge prestigieuse de l’échanson se mêle au sang des familles de Lanvalei et de Flacheio. De plus, l’autre fille de Geoffroy épousera Guillaume de Hirel, reliant encore davantage les seigneuries voisines.
Ainsi, derrière la mention apparemment secondaire d’un témoin, c’est tout un réseau féodal qui se dessine : Dol, Soligné, Faon, Espine, Corrigiato, Hirel, Flacheio et Lanvalei.
L’Histoire locale nous livre ses fils, et nous voyons comment, par offices, mariages et donations, les familles tissent une toile serrée autour de Dol et d’Épiniac.
🔎 Note critique sur Geoffroy de l’Espine, Pincerna de Dol
Cette charte est capitale car elle situe Geoffroy de l’Espine dans une fonction éminente : Pincerna de Dol, l’échanson de Dol.
Or, cette charge, qui relevait à la fois de la confiance domestique (la coupe, le vin) et de la validation officielle (sceaux, chartes), n’était confiée qu’aux proches du pouvoir épiscopal et seigneurial.
Quelques années plus tard, nous savons que Geoffroy de l’Espine deviendra aussi le dernier sénéchal héréditaire de Dol, fonction qu’il hérita par son mariage avec Alice, fille de Jordan fils d’Alan, ancien sénéchal.
Ainsi, l’homme que nous voyons ici comme simple « Pincerna » incarne en réalité une transition institutionnelle : celle du passage de la coupe à l’épée, de l’office de service à la haute charge seigneuriale.
👉 Et l’histoire rejoint la généalogie :
- Ses filles épousent Guillaume Bouterat, descendant des Flacheio et des Lanvalei, et Guillaume de Hirel,
- scellant ainsi une double alliance qui unit Dol, Espine, Flacheio, Lanvalei et Hirel dans un même faisceau de familles et de terres.
⚖️ En somme, à travers cette mention apparemment secondaire d’un témoin, la charte éclaire la dernière grande mutation de la sénéchaussée de Dol et rattache son destin à l’histoire familiale de l’Espine et de ses alliances.
👉 Charte latine
Omnibus sancte ecclesie filiis presentibus et futuris Hasculfus de Soligneio salutem in Christo.
Notum sit vobis quod ego Hasculfus de Soligneio, concedente Yselde uxore mea et filiis meis Johanne et Radulfo, dedi monachis Veteris Ville in perpetuam elemosinam, liberam et quietam, totam terram quam Herveus Mercarius tenebat de me in Magna nova Viridaria, et totam terram quam Robertus Faon habebat in eadem Viridaria, nec non et totam terram quam idem Herveus clausit in Bella Insula, et duas plateas in Paluel.
Has omnes tradidi predicto Herveo jure hereditario tenendas, sub annuo censu 3 sol. andeg. in festivitate sancti Michaelis.
Ut hae ratae et firmae permaneant, scripto commendari et sigilli mei auctoritate firmavi.
Testibus his : Pincerna Doli, Gaufrido Spina ; Garn. monacho Montis Sancti Michaelis ; Gaufrido Corrigiato etc.
👉 Traduction
À tous les fils de la sainte Église, présents et à venir, salut dans le Christ.
Moi, Hasculfus de Soligné, avec le consentement de mon épouse Yselde et de mes fils Jean et Raoul, j’ai donné aux moines de Vieuville, en aumône perpétuelle, libre et franche, toutes les terres que tenait de moi Hervé Mercier dans la Grande Nouvelle-Vergée (Magna nova Viridaria), ainsi que toutes celles que Robert Faon possédait dans cette même Vergée, et encore toutes celles qu’Hervé avait closes dans l’Isle-Belle (Bella Insula), ainsi que deux emplacements à Paluel.
Toutes ces terres, je les ai confiées audit Hervé pour les tenir à titre héréditaire, moyennant un cens annuel de trois sous angevins, à payer en la fête de saint Michel.
Pour que tout cela demeure ratifié et ferme, j’ai fait consigner le tout par écrit et confirmé de mon sceau.
Témoins : l’échanson (Pincerna) de Dol, Geoffroy de l’Espine ; Garnier, moine du Mont-Saint-Michel ; Geoffroy Corrigiato, etc.
📚 Encadré pédagogique : Toponymes oubliés
- Magna nova Viridaria
Ce toponyme latin signifie littéralement « Grande Nouvelle-Vergée ». Le mot viridarium désigne un verger, un jardin clos ou une terre plantée d’arbres fruitiers. L’expression nova suggère une extension ou une plantation récente. Ce lieu-dit pourrait donc correspondre à une zone nouvellement mise en culture, proche de Dol. - Bella Insula (Isle-Belle)
Probablement une île ou une levée de terre entourée d’eau, qui a pu disparaître avec les transformations du marais de Dol. Ces îlots fertiles étaient très prisés au Moyen Âge pour y bâtir des fermes ou des moulins, car ils offraient un sol sec au milieu des marais. - Paluel
Ancienne paroisse ou hameau, mentionné dans de nombreux actes médiévaux. Les cartes anciennes suggèrent qu’il a été absorbé ou englouti dans les remembrements des marais.
Ces noms, aujourd’hui disparus des cartes modernes, témoignent de la vitalité agricole et hydraulique du pays de Dol au Moyen Âge : chaque terre nommée était cultivée, défendue et transmise comme un véritable bien seigneurial.